Y’a des jours où l’accablement me tombe dessus.
En fin de semaine passée, je donne un cours de recherche documentaire à une quinzaine de pépettes d’une école supérieure, en voie de diplôme.
Age moyen : 22 ans.
Donc, je le réalise après coup, un auditoire qui a de fortes chances d’être composé d’adultes et d’adolescentes.
Fouchtra, je suis formée pour former des adultes, moi… bien que l’on nous prévienne : est considéré comme adulte, du point de vue de l’enseignement, toute personne ayant atteint ses 18 ans. Ben je vais vous dire: même les gosses entre 18 et 22 ans, c'est vraiment pas ma tasse de thé.
Le tiers d’entre elles a joué au saboteur diplômé ès bavardages, ou au bébé revendicateur me demandant quasiment de répéter à ses camarades les modalités de prêt inter-bibliothèque qu'elle avait sous les yeux... je rêve...
L’a fallu que je trouve moyen de recadrer (merde… jouer les chiourmes, j’aime pas) ; de continuer sur mon cap tout en modifiant mon plan de cours (là, c’est bon, suis parée aux imprévus).
Finalement, en reconsidérant le tout de la matinée, en cherchant de l’aide auprès d’enseignants de presque bacheliers, j’ai pu en faire quelque chose - remanier mon cours, en fait. Et surtout me dire que j’allais filtrer mes mandats d’enseignement, en éliminant les cours destinés à des populations à risque pour moi : j’aime pas les enfants, ni en soi ni en général, je n’aime que les enfants avec qui j’ai un contact intéressant, ça marche là comme ça marche avec les adultes. Alors les former, nein : je suis andragogue, pas pédagogue.
(Autre bémol de la matinée : courir après un informaticien qui avait autre chose à faire que de débogger le PC dont j’avais besoin pour donner mon cours, et prétend un beamer opérationnel parce qu’il a appuyé sur le bouton ON ; y’avait qu’à se retourner pour constater qu’un message d’avertissement technique masquait mon PowerPoint… remarques transmises au responsable des salles, voilà celui-ci fort surpris – fort surpris ??? je demande la lune ou quoi ?)
[Tout à l’heure, je dois me taper 120 kils pour aller remplir une obligation de coaching auprès d’étudiantes en information documentaire, et ce sera la dernière fois que je donne de mon temps pour aller changer le pampers de gamines tellement infoutues de relire mes consignes et les guide-ânes que leur école leur fournit, qu’elles me les redemandent la bouche en cœur… à moi la peur : à 20 ans, se comporter comme ça ?]
Faut croire que la merde appelle la merde; ou que j'étais d'humeur à la chercher? Car sur ce, l’autre jour après ce cours catastrophique, retournant pensive (au moins) chez moi, je croise une vieille pote, visiblement aux cent coups, visage défait et larmes aux yeux: « Heu, t’en fais une tête, keuski t’arrive ? »
Elle m’explique qu’après une longue période de chômage, elle a retrouvé du travail, mais à un pourcentage inférieur à ses disponibilités. En toute logique, le chômage aurait dû compenser le pourcentage disponible restant…
Ah mais non, ça marche pas comme ça, la logique d’Etat, car on lui calcule sa (non)-indemnité comme suit : à partir du salaire brut (le citoyen moyen vit bel et bien avec son net et pas son brut, par contre…), chiffre comprenant le treizième salaire qu’elle ne va toucher qu’à la fin de l’année… donc, en attendant Nouhël et la Sainte-Nouvelle-Année, elle n’a qu’à se démerder avec les trois francs six sous de son salaire à mi-temps, car le montant de ce qu’elle va toucher aux fêtes fait qu’elle reçoit de son employeur, en théorie, l’exact montant de son indemnité mensuelle… plus 70 centimes ! Manque à gagner net: 770 CHF (pour les gens qui utilisent l'Euro, diviser par 1.4, sauf erreur... 550 Euros, si je calcule bien).
Ceci dûment confirmé par sa caisse de compensation à qui elle a dû encore tirer les vers du nez pour savoir à qui s’adresser pour obtenir de l’aide sociale - 770 CHF multiplié par 4 mois, ça fait 3080 pézettes (2200 E) à trouver comme ça du jour au lendemain. Gloups.
On lui indique le bureau en question, qui se trouve bien ailleurs, évidemment. Et là, après une heure d’attente, elle apprend qu’on n’a à lui proposer que des adresses ici et là, pour aller remplir des formulaires permettant de demander le report du paiement des impôts, de ceci, de cela, blablabli et blablabla. Bien sûr, fastoche, puisqu’elle avait encore du temps libre avec son job à 50%.
Quelques jours plus tard, elle avait rendez-vous avec son conseiller au chômage ; il ignorait visiblement ce calcul aberrant - ma pote avait d’ailleurs trouvé légèrement crispant de devoir lui réexpliquer ça à 5 reprises. Le pompon : les leit-motiv défensifs du gars et sa remarque finale lui suggérant de quitter le chômage, puisqu’il la servait si mal…
Ma pote avait les yeux rougis, et m’a finalement tristement souri en se félicitant de n’avoir aucun crédit sur le dos, d’avoir pris des habitudes plutôt télévisuelles concernant ses distractions, et d’être rompue à l'art de jongler avec des rappels de factures de téléphone ou même de loyer, depuis le temps.
Ca sent le moisi au royaume supposé des bien-nantis de Suisse… Là je ramène ma fraise pour la coller en dazibao - et je profite pour détromper certains quant à leurs idées reçues sur le Chuiche lambda.
Ici, on ne nage pas automatiquement dans le fric parce qu’on a un passeport rouge à croix blanche; on a un Quart-Monde aussi, des cités à voyous désoeuvrés qui tabassent et dévalisent les gens dans la rue pour un natel et 15 balles en petite monnaie… des gens qui rament pour joindre les deux bouts et tentent de ne pas laisser passer les anniversaires et les fêtes carillonnées sans faire au moins un petit cadeau à leurs gamins. Y’a de la misère bien pire, j’en conviens, mais le stress et l’anxiété d’arriver à payer son toit tous les mois, c’est un truc dur à vivre.
Bref. C’était à la veille du week-end, ça m‘est tombé dessus tout ça, je sais pas vraiment pourquoi ; peut-être parce que le ciel bleu du vendredi s’est transformé en bise et pluie samedi et dimanche?
Heureusement que le chat était demandeur de câlins, et m'a fait rire à fond: il revient de ses excursions sous la pluie trempé comme un gazpacho, avec plein de trucs bizarres dans son poil - du coup faut que je l'étrille avec des mouchoirs en papier, qui contiennent une substance qui le rend fou d'amour. Pour la boîte et son contenu, j'entends.
Et surtout, heureusement que j’ai reçu un adorable long mail de mon Nounours chéri, ça m’a fait comme des bisous en chapelet sur le visage et le cou. J’en avais bien besoin !