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10 octobre 2010 7 10 /10 /octobre /2010 09:38

 

 

La colère, c’est un truc assez mal vu, en général : perte de maîtrise, réaction enfantine, etc. Sauf si c’est le patron qui la pousse ; là, ça devient la preuve qu’il est le chef, se fait respecter, et a les moyens de s’acheter des frocs qui laissent tout loisir à ses couilles de s’expandre.

 


Ca me fait penser aux lansquenets, dont le costume extravagant comprenait une sorte de poche « bitale », où ils mettaient leur argent par exemple… la symbolique de la puissance dans toute sa splendeur. Ou comment dire « Je peux t’enculer », en trois bouts de tissus. (C’est quand même marrant : les ados qui rembourrent leur soutien-gorge ou la technologie push-up, ça n’a pas le même impact. Ca me donne une idée : lancer des soutifs rembourrés/pushupés ET imprégnés de testostérone…)

 

 

 

La colère : comme la plupart d’entre vous, on m’a dressée à  ne pas la montrer, ou même à ne pas la ressentir, si possible.

C’est dire si elle est considérée comme dangereuse…  Je souscris à cette vision de la colère de Lytta Basset : "une personne en colère est une personne qui n'a pas renoncé à la justice".


C’est un potentiel de transformation personnelle, inter-individuelle, un formidable contre-pouvoir aussi… à condition de ne pas casser la relation, de ne pas s’enfermer dans la simple évacuation du trop-plein, telle la cocotte-minute qui laisse échapper vapeur et perd de l’énergie.

 

 

 


Je vous parle de ça parce que je travaille depuis peu dans une organisation humanitaire locale, mais d’obédience internationale. Bien qu’un de ses leit-motiv pour décrire sa mission soit « Préserver la dignité », depuis quelques semaines que j’y collabore, j’ai vu et entendu nombre d’implosions internes dans son centre de formation, là où je côtoie une équipe extraordinaire d’écoute envers ses membres et les personnes qu’elle forme…

… mais qui s’est suradaptée à une série de maltraitances subtiles : sur les dix derniers mois, il semble qu’une série impressionnante de décisions managériales déshumanisées aient été prises, assorties d’une communication si abrupte de la part de son chef direct que mes consœurs et moi-même en restons littéralement sidérées, de vraies statues de sel qui se laissent ensuite éroder pour subsister.


 

J’ai appris il y a une semaine tout juste que j’allais devenir SDF, sans bureau ni PC fixes, pour une durée qu’on espère ne pas se voir prolonger après décembre. Etant le plus petit pourcentage de la maison, c’est moi que cela dérange le moins, n’est-ce pas, de céder ma place à l’assistante administrative directe de mon chef, qui elle-même, allez savoir pourquoi, a cédé son poste à d’autres…


A décision maltraitante, communication violente : j’ai appris la chose en moins de trois minutes et deux coups de cuillère à pot, en quelques phrases qui ne m’expliquaient pas vraiment pourquoi , au terme d’une journée épuisante, de la bouche de mon chef et de son assistante qui me guettaient comme deux murènes quand je suis passée entre leurs deux bureaux.

 

Toute la violence de la décision et de la manière dont on me l’a communiquée m’est remontée le lendemain ; en ayant eu vent je ne sais comment, mon chef a voulu me  forcer à venir parler avec lui dans son bureau.

 

Et c’est là que j’ai mesuré la puissance de tout ce que j’ai appris en thérapie, au sujet de la colère : j’ai refusé d’obtempérer, fermement et par trois fois. J’avais besoin de parler avec mes collègues avant tout, je l’ai dit, et nous avons donc convenu avec mon chef d’un rendez-vous au plus vite pour rediscuter.

 

Et quand il a quitté la pièce en me disant, le dos tourné, que ce n’était pas mes collègues qui allaient me donner la solution et que cela se réglerait au besoin avec la direction, devant cette attitude d’intimidation, je lui ai répondu  (enfin... à ses omoplates...) que j’étais en période d’essai et que des incidents pareils devaient en effet  se recadrer immédiatement pour nous permettre de voir au plus vite si l’institution et moi nous nous convenions.

Voilà pour l’anecdote qui me conduit à écrire ce billet aujourd’hui. Et de manière générale, je peux voir comment j’ai appris utiliser ma colère.

 

L’idée est la suivante : la colère est facile à retourner en pleine face de celui qui s’y laisse aller – et là, l’effet de stupéfaction dû à l'embuscade a clairement généré un enchaînement où soit je me taisais et j’obéissais, soit je me révoltais. Mais en fait, l’alternative n’a pas eu lieu : j’ai eu les deux attitudes, successivement. On a appliqué la solution, et on a regardé les retombées... et on en discute encore, des retombées.

 

 

Je résume la suite des événements : la première journée de l’administratrice  à mon bureau a été infernale pour tous, car au milieu de la volière en effervescence des trois formatrices « restantes », elle a tenté d’introduire une nouvelle collaboratrice… elle a eu droit  des piques et des pointes de notre collègue infirmière en psychiatrie… et se rendant compte que son/mon poste n’était pas équipé des applications avec lesquelles elle a constamment besoin de travailler, elle est allée occuper d’autres sièges et d’autres PC dans la maison! Tout au long de cette journée, en parlant ici et là avec elle, j'ai pu compléter ma compréhension de la situation - c'est regrettable que j'aie dû aller moi-même à la chasse aux informations.


Pendant cette journée, j'ai déchargé ma hargne en écrivant un mail à mon équipe pour l’informer de ce qui se passait. Par hasard et par bonheur, la journée du lendemain était de toute façon consacrée à la rencontre de cette douzaine de personnes, impossibles à réunir autrement.

 

La coupe était visiblement pleine, et l’incident que je vivais n’était pas un accident, mais la ixième répétition du même scénario qui les fait bouillonner depuis des mois : en 45 minutes, nous avions arrêté un plan. A la fin de la matinée, une lettre cosignée a été envoyée à la direction, l’informant que l’équipe reprenait  à son actif et pour son bénéfice une journée prévue à l'origine pour une sorte de course d’école. Qu’elle y discuterait de la situation et de son inconfort général depuis des mois, en vue d’une autre rencontre à agender avec la direction, pour réajuster le tir et exprimer ses revendications.

Lors de ces 45 minutes, j’ai même entendu les mots de « révolte » et de « débrayage »…

 

Bref, ma mésaventure ne fait pas de moi un leader révolutionnaire, mais le fait d'exprimer de diverses manières tout mon inconfort, ma colère et mon envie de quitter l’institution illico ont fait mouche, et a aussi servi de catalyseur ; sans parler des messages de solidarité individuels.

 


 

La stratégie la plus positive, à mon avis, consiste à refuser de dialoguer quand on est dans la colère,  à la décharger ailleurs, de manière à dégager des arguments pour aller poser cartes sur table ensuite ; bref, se remettre les idées en place, pour rester en contact avec les personnes qui suscitent la colère, et en faire quelque chose de constructif.

 

Je dis que la colère, c’est avant tout de l’énergie ; et qu’il a fallu que quelqu’un enferme de la vapeur au voisinage d’un piston pour constater que ça faisait avancer un véhicule. Na. J’aime les symboles et les métaphores, décidément.

Alors, Joseph Cugnot, merci  à toi et ton fardier ; même si tu servais avant tout l’art de la guerre avec cet engin, penser à ton invention fait rebondir mon esprit vers Denis Papin et ses machines à vapeur, ainsi que vers Sun Tzu et son inspiration stratégique.

 

 

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commentaires

S
<br /> Je comprends que ça te semble quelque chose à réhabiliter. Mais tu es aussi très cérébrale. Tu aimes la colère, ta saine colère comme disait Ségolène Royal (ça t'aurait plût ce moment là), mais<br /> aujourd'hui, tu produis toujours plus qu'elle... Bref : aime-toi telle quelle, ne minore pas en toi ta capacité de raison et recherche, quitte à ce que ce soit pas aussi pure que le diamant, ni<br /> aussi fantastique que mère nature un jour de volcan et d'orages.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Claro.<br /> <br /> <br /> L'essentiel est de ne pas l'étouffer, car elle est moteur de changement.<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Assez d'accord pour le rapport colère/justice. Ca tient un peu de "penser c'est dire non", de Alain.<br /> <br /> Mais pour mon propre chef, je parle plus de révolte. Pour moi ça contient autant l'émotion que la réaction qui la suit.<br /> <br /> C'est pour ça que ta hargne a eu de l'effet : parce que tu transmettais en même temps tes questions, raisonnements, perceptions.<br /> <br /> Ta colère, si elle n'était que colère, elle n'aurait eu que des violences (sur les autres ou sur soi) comme moyen d'expression. La différence, c'est qu'elle se manifeste dans une tête où il y a des<br /> mots , des processus, des apprentissages ; dans un milieu où la communauté se manifeste déjà.<br /> <br /> La colère a l'avantage d'être combustible. Mais elle a besoin d'un mécanisme solide pour que ce que l'ensemble devienne un moteur à explosions, plus qu'une explosion du moteur.<br /> <br /> Mais c'est est une énergie naturelle très instable, comme l'électricité. Elle se transmet pas forcément là où elle est la plus efficace, elle va là où ça rencontre aucune résistance. Elle se<br /> transmet à d'autre, qui n'ont pas les mêmes circuits que nous, pas la même production, pas de plan d'ingénierie du tout !<br /> On peut transmettre une colère aux autres sans leur donner les moyens d'avancer avec. Dans ce cas, on obtient simplement des forces contraires. Puissantes, mais pas plus utiles que la tectonique<br /> des plaques.<br /> <br /> Alors que transmettre une révolte, justement en sachant y laisser vivre l'élément colère tout en mettant en évidence des chemins et des mécanismes, c'est du moteur, c'est penser, c'est Sun Tzu.<br /> <br /> <br />
Répondre
C
<br /> <br /> Hééé, salut toi, merci de nourrir le thème, bien vu tout ça.<br /> <br /> <br /> J'aime quand même bien rester sur ce mouvement réputé primesautier, mais qui est en fait un diamant brut à tailler: à l'état de caillou ou passé par les mains des joailliers, ça reste du carbone.<br /> <br /> <br /> Présent sur Terre depuis la formation de celle-ci, produit par nucléosynthèse au coeur des étoiles qui ont explosé avant la formation du système solaire...<br /> <br /> <br /> <br />

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