Oyez oyez.
L’agrume n’a pas de trace d’arthrose, dixit le chirurgien qui a ouvert de grands yeux devant mes radios d’il y a 6 ans, et celles du jour… mais une tendinite, cristallisée et de six ans d’âge, des petit et moyen fessiers. Donc depuis tout ce temps, on aurait pu guérir ça, mais je me suis bourrée de calmants, seulement ça, vu que le rhumato m’avait dit que c’était la seule stratégie possible en attendant d’avoir trop mal pour me passer d’opération. Donc le truc bien, c’est que je n’ai pas besoin de me faire opérer. Quelque part, dommage, car je me voyais déjà trotter comme un lapin d’ici quelques semaines.
Je devrais être joyeuse, non ? Ben bof. Le seul truc qui m’amuse ces jours, c’est les prétentieux mal garés.
Je regarde les 4 x 4, ces gros-culs qui ne tiennent pas (ou ne croient pas pouvoir tenir) sur une place de parking ; même pas tant parce qu’ils sont imposants, mais parce que les conducteurs ne savent pas se parquer, ou ont démissionné – il suffirait pourtant d’orienter les rétros un chouya plus bas pour voir les lignes... ou alors, c’est le coup de la grenouille de Lafontaine. Toujours est-il que ça déborde forcément : regardez une ligne de parking le long d’une rue, à tous les coups celle qui dépasse, c’est un quat’quat. Et pas forcément parce que c’est plus large… souvent, il y a la largeur de deux pneus entre le véhicule et le trottoir. L’autre jour dans mon centre commercial préféré, je vois le popotin d’un de ces miroirs d’orgueil qui mangeait tellement de place que les bagnoles n’arrivaient pas à se croiser… comme il était gris de poussière, j’ai écrit au doigt sur la porte arrière « T’es quand même pas si gros que ça » - rien de gratuit là-dedans : il y avait entre le mur et l’avant du char assez d’espace pour le rentrer dans les clous.
Dans un pays où on force les proprios de chiens à suivre des cours d’obéissance canine, et à mettre des muselières même au plus trouillard des teckels, je suggère logique de forcer les conducteurs de ce genre de tanks à prendre des leçons pour garer leurs King Kong mécaniques.
Ces dernières semaines, je me sentais morose le matin ; inhabituel chez moi, je suis plutôt bien dès potron-minet, tout en causant très peu – ma manière à moi de me réveiller, de revenir sur terre en douceur. Faut dire que la grande fille de Nick est assez taciturne le matin aussi, donc de bonne entente on a décidé de se faire juste une bise quand on se croise tôt. Et on passe 20’ à ne rien se dire, elle déjeune et je m’enquille mon café et mes vitamines, je trouve ça très reposant. Au contraire du lutin qui peut être à la fois distrait et agité… il faut lui rappeler l’heure, lui rappeler de manger, le rappeler sur le plancher des vaches. Nick, lui, se met au radar tranquille, habitué à sécuriser le départ dans la journée – le sien, celui des autres. Parfois en poussant une gueulante, heureusement c’est rare.
Bref, j’avais le moral plutôt en rase-mottes. Alors que les choses s’arrangent plutôt côté taf – je trouve que je suis bien aidée pour me réorienter vers la formation, les demandes de cours particuliers arrivent, et je suis sollicitée par une institution et par l’AI pour coacher une miss qui a du souci pour écrire. Et encore une autre qui a besoin de soutien pour comprendre la fonction rénale, et cette autre qui peine à produire son dossier pour admission en HES.
Et puis j’ai mon brevet, j’ai reçu ce matin la lettre officielle, félicitations et Cie.
Malgré ça, drôle de sensation avec ma petite famille d’adoption. Indéfinissable, donc probablement prenant sa source dans des tartuferies impalpables et inconscientes de part et d’autre.
Il a fallu un échange bizarre de SMS (oh que je déteste la technologie, quand elle dessert les rapports humains) pour mettre le pompon de l’incompréhension sur la table. De message embrouillé en vexation auto-générée, alors qu’il était question d’aller se détendre les 4 en jouant ensemble dans un lieu dédié, on s’est retrouvés à glander la moitié du temps en attendant de pouvoir enfin faire un bowling… avec les moments d’attente pour avoir son tour, chacun est parti dans ses propres réflexions, devenant fonctionnel, absent ou carrément désagréable (la spécialité de la grande, en bonne ado à l’humeur en dents de scie, se débattant avec ses points faibles jamais compensés par ses points forts, de son propre avis, et une estime de soi en construction cahoteuse).
Là ce matin, je repense à un vieux copain à moi, qui souffre d’anxiété, en cherchouillant sur la toile je m’aperçois que c’est une histoire d’amygdale (celle du cerveau, hein…) qui fonctionne différemment.
Pas une histoire d’hormones, encore moins de volonté défaillante – ça je le savais. Une histoire de trouille intense, de trouille d’avoir la trouille ; qui le conduit quasiment, en somme, à ne plus sortir de chez lui.
Le corps finit par s’épuiser d’être tout le temps en tension, et la dépression peut venir s’ajouter au tableau ; le pote en question ayant professionnellement affaire à des élèves genre ados tardifs dans des corps d’adultes, et enfants de parents friqués de surcroît, il a tout pour aller dans la déprime grave.
Je hais la politique mentale qui consiste à se dire que d’autres ont des problèmes plus graves que les siens propres: ça conduit à se cacher la merde au chat sous le tapis. Il n’y a aucune échelle de comparaison possible, quand s’angoisser pour une plaque de cuisson éventuellement laissée allumée devient un TOC envahissant – alors qu’à mes yeux, le risque est voisin de zéro, vu que les fusibles n’auront qu’à sauter en cas de surchauffe. Je dis pas que ça me fait rire quand je rentre et que ça rougeoie, je pense plutôt à la dépense inutile d’énergie… Mais minimiser, en général, me paraît une douteuse stratégie d’évitement, et qui coûte au final les intérêts de la négligence.
Alors quoi, hein, c’est quoi ce sentiment diffus de tristesse ?
Comme souvent, l’écriture me sauve : posant mon malaise à plat, je me rends compte que je suis loin d’être désœuvrée, que ma semaine est émaillée de choses à accomplir avec plaisir, à la maison tranquille ou dehors – ce qui me donne l’occasion d’aller prendre de la lumière.
Mais peut-être pas assez quand même… tiens, idée à creuser… ben oui, je crois que c’est ça : pas assez de lumière pour aller nourrir mes circuits de récompense. Fin d’hiver, moins d’occasions de prendre le soleil sur le visage… ça doit être ça. Il va me falloir plus que me réjouir de voir les primevères sorties avant les perce-neiges – là, c’est un tapis blanc devant les immeubles du voisinage, carrément.
En attendant, j’écoute le duo banjo-guitare de « Délivrance », et ça me fout la pêche. Déjà ça.