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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 14:20

 

    Longtemps j’ai cru que certaines choses étaient à faire absolument, dans la vie ; puis j’ai cru qu’il m’en fallait faire le deuil, puis j’ai simplement accepté que je ne les ferais jamais. Et que je ne m’en porterais pas plus mal.

Dans cette liste : bâtir une relation solide avec un partenaire / habiter avec ce partenaire / faire un enfant avec ce partenaire / puis un deuxième. Je dois en oublier, mais des secondaires.

Avec ça, une bonne thérapie parce qu’une célibataire sans enfants, hein, ce n’est pas normal. Y’a forcément une tare…

Et d’accuser mon parcours dans ma famille d’origine, les difficultés de tout ordre, pour expliquer pourquoi ceci est comme cela. Dans l’espoir secret que, du moment que ce serait compris et métabolisé, je pourrais enfin : bâtir une relation solide avec un partenaire / habiter avec ce partenaire / faire un enfant avec ce partenaire / puis un deuxième. Je dois en oublier, je vous dis.


    La thérapie m’a emmenée tout ailleurs. L’introspection a d’abord été un acte nécessaire pour ne pas couler, j’ai confié à une oreille discrète et neutre mon exode intérieur avant d’arriver aux limites du désert. A bien y regarder, je me suis inventée les repères qui me manquaient, grâce à des parents de substitution. Il était temps que je me mette au travail sur moi-même, que je me « devienne », quoi: avec juste un bac en poche, on ne pèse pas lourd. Et minimiser la souffrance est un risque, tout comme en banque on paie fort cher les intérêts qu’on laisse courir…

 

« Oui tu deviens un peu folle, mais c’est ce qui arrive souvent aux gens bien » ( à qui attribuer la paternité de ces mots, je ne sais trop… Tim Burton, « Alice in Wonderland » ? Bref).


     L’acte de thérapie devient courageux dès lors qu’il est sans complaisance, et que muni de certains harnais de sécurité dans la tête, on se lance dans le vide malgré la trouille au ventre. Lâcher des contraintes, ce n’est jamais simple, surtout quand elles représentent des garanties d’intégration…  Faire partie d’un groupe demande d’accepter ses règles, de manière assez générale.

Je crois qu’il existe un métal qui, plus on le travaille, plus il développe de résistance et perd de sa souplesse. Il faut ruser, chercher d’autres voies pour l’amadouer et lui donner la forme qu’on souhaite. La résilience, avant d’être la capacité à rebondir du plus profond des trous, désigne quant à elle la capacité d’un métal à reprendre sa forme initiale après avoir été manipulé. Son adaptabilité et son élasticité, quoi.

On rêve tous d’être libres, mais en somme, plus ça va ,plus l’évidence s’impose : si on n’a pas les moyens d’être une île (financiers, psychiques ou les deux), faire partie d’un groupe a du bon, question survie.

     Je me suis raccrochée à un radeau professionnel qui passait, reconnaissante infiniment qu’on veuille bien m’embarquer, car mal-bâtie dans mon estime de moi : j’ai pris pour une faveur ce qui n’était qu’une admission voilée du soulagement de mon entourage que je veuille bien l’intégrer; mais à l’époque je pensais que je devais tout, et que rien ne m’était dû : mauvais balance interne.

Un premier diplôme a assuré mes arrières : du travail, j’en trouverais toujours, dans ce domaine. Pourtant, à peine reçu mon papier, j’ai senti monter une vague assez terrifiante d’autant plus qu’elle était indistincte ; pour dire les choses simplement… je me suis demandée ce que je foutais là. Elément important du tableau, à part égale avec la recherche de l’amour.

25 ans plus tard, je n’ai fait que tenter de trouver l’équilibre entre l’adaptation et la remise en question. Dénouer les multiples entrelacements du psychisme demande une patience de fourmi, c’est un jeu de mikado… Evaluer quelle pièce va pouvoir être gagnée sans trop de frais, faire le ménage des bâtons qui sont tombés à l’écart, déblayer les abords, anticiper le mouvement de ceux qui vont bouger en fonction de la fatigue de l’équilibre du tas… Le bâtonnet à torsade bleue, celui à 50 points, n’est pas toujours inaccessible ; et gagner la partie peut se jouer, en regard de ce seul atout chez un adversaire, au cumul des points de son partenaire, glanés petit à petit avec les bâtons mineurs.

Bref, le pouvoir n’est rien, sans les plus petits qui l’accordent.


Puisqu’on joue avec soi-même, il importe d’évaluer également les pertes et profits résultant d’une action – le but étant plus que jamais de rester dans une dynamique de gagnant-gagnant : est-ce bien le moment de fournir un effort conséquent sur un point précis, alors que j’aurai peut-être le même résultat en attendant simplement que les circonstances rendent accessible l’objet de ma convoitise? Quelle écaille, quelle croûte-au-genou allait partir d’elle-même, pouvais-je m’épargner d'exposer un peu trop tôt le tissu tout neuf  et rose violacé en-dessous ?

 

    Bref, à terme, la thérapie m’a amenée à examiner de près ce que je croyais être mes buts, convergeant en un but ultime : me sentir normale. A l’époque, ça voulait dire me sentir dans la norme, m’intégrer, arriver à faire comme les autres.

Côté profession, j’ai démultiplié les tentatives de sortie… mais comme je ne savais pas où je voulais vraiment aller, je restais sur le seuil, hésitante, timorée, entrevoyant en quelques éclairs de lucidité que ce ne serait pas forcément plus jojo ailleurs : ma merde voyagerait dans mes bagages, pas moyen de l'oublier purement et simplement sur le tapis roulant de l'aéroport.

Côté amour, sans trop me forcer, j’ai réussi avec mon caractère trempé et ma carapace forgée à toute vitesse, à tenir éloignés les prétendants (surtout prétendants à utiliser mon utérus, in fine – c’est ainsi que je voyais les choses et je crois que je n’étais pas loin de la vérité).

J’ai cru être enceinte une fois, et en attendant que se confirme la chose, il était d’ores et déjà clair que j’allais avorter : engager ma vie sur un accident, même survenu au sein d’une belle relation, n’avait aucun sens si cet enfant n’était pas profondément désiré. Je fais bien la distinction entre le désir d’être enceinte et le désir d’enfant : être rassurée sur sa fécondité, et ainsi rassurer peut-être l’entourage sur diverses choses (son orientation sexuelle, sa capacité à faire un choix, voire sa capacité à résoudre un supposé dilemme…), c’est très différent de la disponibilité qu’on a ou qu’on croit avoir, pour élever un petit d’homme pendant le quart de siècle suivant. Gloups, sans moi.

Une grossesse, quelque part, c e n’est qu’un symptôme ; un signe évident que tout est à sa place?

Confusément, je sentais que tout pouvait être bien à sa place, mais différemment.

 

     Une fois donc ce symptôme écarté, le suivant à explorer était la croyance que je devais avoir un homme dans ma vie, une relation stable, comme un gage de réussite sociale. Ben non. Chou-blanc, résolument : mes histoires étaient fortes, belles, mais foiraient dès que pointait l’ombre de la cohabitation ou de toute autre forme d’engagement symbolique, ce qui me mettait sur un tapis de fakir… Je n’en avais pas fini, et de loin, avec ce qui est apparu de plus en plus nettement : la co-dépendance. A savoir, dans mon cas, le mouvement inconscient qui me poussait à nouer des liens avec des hommes qui avaient besoin de moi plus qu’autre chose, alors que moi j’avais besoin qu’ils aient besoin de moi.

Tout comme dans mon travail, le fossé entre le discours et la réalité me paraissait se creuser de manière insupportable : créer une demande de plus en plus forte en glissant une première offre a priori anodine. Le toboggan à pente très ténue d'un vocabulaire d'outre-Atlantique, introduisant la notion de clientèle dans une profession à l’aura altruiste, voilà qui m’interpellait avec force, que je l’agrée ou que je m’en défende : tout travail mérite salaire, tout travail a ses prestataires.  Je m'en suis défendue tant que la sécurité du groupe m'a été nécessaire (et que crier haro et au loup me tenait chaud - et puis, ensuite... j'ai agréé, comme une manifestation de bon sens que c'est, rien moins. Et puis je commençais à avoir trop chaud, à respirer mal: trop penser dans un endroit exigu, ça pompe l'air du cerveau.                                             

 

     Bref : je mettais de plus en plus d’énergie à consolider un mensonge à moi-même et aux autres – et je réussissais de moins en moins à dissimuler ce qu’il m’en coûtait d’être là : actes de rébellion, discrets ou sous forme d’actings fusant de manière incontrôlée. Encore heureux que je n'aie pas posé culotte dans le bureau de mes chefs, ce n'était pas l'envie qui m'en manquait.

Tout ceci à mis plus longtemps que la longueur d’un paragraphe à sortir au grand jour ; entretemps, sur le plan privé, j’ai même réussi à croire que si je sortais de la norme du couple, cela devait signifier que je devais être lesbienne-dans-le-placard. Je me souviens encore de la mine "Bon sang, mais c'est bien sûr!" de quelqu'un de ma famille quand je me suis posé la question à haute voix en sa présence.

Essayé, pas pu. Voilà pour la question…

 

     Thérapie, thérapie : déconstruire sa vie, la faire parfois douloureusement voler en éclats, pour devenir ce qu’on est. On ne cesse jamais d’être soi ; mais cesser de se cacher des autres ou, plus sournois, de soi-même… toute l’affaire est là.


Décortiquez; défaites, patiemment, les petites griffes du quotidien qui vous mènent jour après jour à des endroits qui finissent par vous désespérer, au sens littéral du mot ; par vous priver d’espoir, du ressort du changement.

Il est des graines obtuses qu’on tente d’ouvrir pendant des mois, des pistaches merdiques qui ne valent pas le coup de dent qu’on y met - la gencive s’ouvre et saigne ; bien plus tard, si elles ont toujours fermées, il suffit de les balayer en poubelle – boaf. J’ai bien réfléchi au sens dont elles sont porteuses, et ma conclusion c’est qu’elles ne servent qu’à nous occuper le temps qu’on décide de se confronter à ce qu’il serait trop dur de travailler si ces mini-moules ligneuses ne se présentaient providentiellement pour capter notre attention… elles nous protègent, en somme, le temps de refaire nos forces.

 

Il y a aussi des moments de prodige où le ciel gris se déchire d’un coup, et où on croit recueillir la grâce divine, le pardon, le miracle, la plénitude. On pleure de joie. C’est immense, à recevoir… et parfois le contrecoup à gérer s’avère également costaud : retomber sur ses pattes, digérer, intégrer au quotidien - car les autres n'ont pas tout suivi, et votre bonheur ne peut pas toujours être partagé.

D’autres fois, ce sont trois jours de pleurs désespérés qui nous sont réservés, qui nettoient l’atmosphère un bon bout. Mais pas tout. Du ciel de traîne, il y en a toujours. Rien en fait n’est jamais réglé : on prend juste conscience de ses cicatrices, on apprend à les ménager, à les contourner. A les surveiller du coin de l’œil, des fois que.

 

     A terme, résultat des courses : professionnellement, je paie mes factures avec un job alimentaire – je m’arrange pour me tenir à un endroit où l’inconfort est réduit au maximum; j'ai un rôle de leader distancié, de semi-bureaucrate de terrain, de médiatrice ; relativement bien payé, après 25 ans dans la mêlée… l’autre moitié de mon temps est consacré, dans mon nouveau créneau professionnel de limier sur Internet, à bâtir le job de mes rêves… puisqu’il n’existe pas, en fait.

Et pour le privé… j’ai accepté que la solitude soit ma préférence, j’ai noué des liens avec des gens et des partenaires qui acceptent et valident mon besoin de distance – c’est mieux de caler l’œuf de Colomb sur son assise émiettée que de se le prendre où je pense. Des êtres qui, en se posant des questions similaires, raisonnent et résonnent sur un mode harmonique concordant avec le mien. Encore fallait-il les trouver… et pour ce faire, être claire sur mes attentes et mes possibilités. Merci mes chéris, infiniment.


Ma sœur ayant payé un tribut plus que large à la perpétuation de l’espèce, les expectatives de ma famille à cet égard n’ont été pressantes qu’au moment où mon horloge biologique était censée se déclencher. Panne de secteur ! Le désir d’enfant par procuration, ça n’a pas trop bien marché, on dirait. Je n’avais pas la force d’affronter le paquet-cadeau avec Malux : pour bien faire, la place devait être déblayée autant que possible, et parti comme c’était, j’en avais pour la vie ! Soulagement discret et pas tout de suite repéré: comme une migraine, à partir d’un certain moment, ça vous lâche - c'est plus tard qu'on se demande vaguement quand ça a cessé? Les allusions fines - ô combien – et autres discrètes pressions cessent de se faire sentir ; qu’on les zappe, ou qu’elles s’arrêtent d’elles-mêmes. En cessant d’être le réceptacle potentiel de quelques otages de plus dans l’existence – ou d’autres grandes espérances de mon entourage, je suis enfin délivrée d’un grand poids… 


C’est ma vie à moi, nom de goué. Si c’est un droit, ou un cadeau, alors j’en fais ce que je veux. Un vrai droit, un vrai cadeau, si quelqu’un essaie de vous le transformer en devoir ou en obligation de recevoir, c’est qu’il y du plomb dans l’aile du coucou qui tente sournoisement de s’installer dans votre nid. Dégagez-moi ce profiteur, et un peu vite.


C’est vrai quoi : restons légers...

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