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2 janvier 2013 3 02 /01 /janvier /2013 09:41

 

 

Vous connaissez des Asperger, dont le petit nom est « aspie » ?

Sûrement, mais vous ne le savez pas; selon les probabilités, vous les côtoyez obligatoirement une fois ou l'autre sans le savoir, peut-être en vous demandant vaguement ce qui cloche dans votre relation. Pour peu que d'autres que vous le sentent aussi, la personne se forge une réputation: elle manque d'humour, elle dit des choses bizarres tout en donnant la preuve de son intelligence. On la fuit un peu, à force. Quelle case lui manque?

 

J’en connais deux. L’un est un gosse de 13 ans, que je vois ici et là depuis sa naissance. Je rassemble quelques souvenirs : c’était un bébé sérieux, qui fronçait les sourcils quand on lui parlait, avec une expression de détresse légère.

Vers ses six ans, on lui a offert une mappemonde, il a appris en un rien de temps les capitales et l’emplacement de chaque pays.

Capable d’écouter en boucle la même chanson de Voulzy des heures, discret, qui quitte la table dès qu’il a fini de manger.

Je m’étais rendue compte de la nécessité de lui expliquer clairement des notions de convivialité à l’occasion d’un week-end à la montagne avec lui et ses parents.

Jusque-là, rien qui appelle un diagnostic clair. A l’école, sa difficulté principale, c’était de suivre les consignes d’exercice dès qu’elles ne reflétaient pas le monde visible. Une orange, c’est orange : lui demander de la colorier en bleu, pour illustrer le poème d’Eluard, ça le révoltait. Une logique imparable, mais qui le mettait en difficulté.

Là, les parents ont commencé à se douter de quelque chose, et ont beaucoup bossé pour lui donner les clés du monde neuro-typique (les gens dits "normaux "), lui qui est neuro-divergent. Il ne fonctionne pas comme la majorité, c’est comme ça. Il faut lui expliquer comment se comporter, il ne l’intègre pas. Et ce même môme que je connaissais renfermé, comme absent, je l’ai vu se transformer en quelques mois, un sourire éclatant mais un peu douloureux sur le visage, un petit soleil avec comme une pointe de crainte.

 

 

La deuxième est une fille avec qui je corresponds sur la toile ici et là depuis quelques années, et qui annonce clairement la couleur pour se faire expliquer les conventions sociales, les gags, les choses réputées évidentes qui constituent le lien social entre les gens.

Wikipedia dit ça : « Le syndrome d'Asperger est un trouble du spectre autistique qui se caractérise par des difficultés significatives dans les interactions sociales, associées à des intérêts restreints et des comportements répétés. Le langage et le développement cognitif sont cependant relativement préservés par rapport aux autres troubles du spectre autistique. Bien qu'elles ne soient pas retenues pour le diagnostic, une maladresse physique et une utilisation atypique du langage sont souvent rapportées. »  http://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_d'Asperger

 

Le syndrome d’Asperger est le trouble le plus léger du spectre autistique, dit-on.

Je trouve leur contact interpellant, car il m’oblige à être très claire, à ne rien prendre pour acquis en matière de conventions sociales. Comme ils n’intègrent pas ce que veulent dire les mimiques faciales, ce qui se dit et ne se dit pas, la vie est pour eux, je dirais, comme un pays perpétuellement étranger où il faut constamment faire attention à ses manières en société. Imaginez que comme gamin, on vous a appris que roter est malpoli. Et puis, on vous emmène en pays maghrébin, où roter est signe de politesse, honorant la cuisine qui est servie.

Brôô, al hamdoulileh. En plus, on invoque le nom d’Allah. Chez moi, si je dis « Nom de Dieu » en plus de roter, on me fera les gros yeux. Déstabilisant, non ?

En voulant vérifier mes connaissances, je tombe sur cette règle qui veut qu’on dise aussi « Al hamdoulileh » quand on éternue, en hommage au souffle du Tout-Puissant qui se manifeste. Ben voilà encore une subtilité que j’ignorais, je l’engrange dans mon dictionnaire, c’est noté. Ah, un autre truc : après le rot il faudrait dire plutôt « Stargfullah », « Que Dieu me pardonne » selon certaines sources, car roter signifierait que l’on a trop mangé, et qu’on le paiera au jour du Jugement dernier en ayant perpétuellement faim. Je dis quoi alors ? Pas de règle fixe, ça dépend à quel courant religieux on appartient. Je suis perdue. Je risque constamment de commettre un impair, alors ? Je me ferais lyncher si les musulmans n’étaient pas si tolérants envers les non-musulmans…

 

Et bien, tous les jours, les Aspies doivent comme feuilleter à toute vitesse dans leur tête le dictionnaire local de la société à laquelle ils appartiennent, rien n’est un réflexe intégré. Une sacrée dépense d’énergie, qui ne porte pas à rigoler tellement l’effort est intense. D’ailleurs, l’humour des neuro-typiques, qui biaise souvent les conventions ou s’en moque, ne leur est pas accessible. J’espère que je ne dis pas trop de conneries, en même temps… hein les Aspies, vous me le direz, si je suis à côté de la plaque ?

 

http://www.atoute.org/n/forum/showthread.php?t=146450

 

A cette adresse, j’ai trouvé un pastiche des neuro-typiques, voyez plutôt, c’est assez tordant au fond, en plus de remettre les pendules à l’heure.

 

 

Le Syndrome Neurotypique

Définition
Le Syndrome Neurotypique est un trouble neurobiologique caractérisé par un souci de préoccupations sociales, des délires de supériorité, et l'obsession de conformité.

Symptômes
Les individus neurotypiques pensent souvent que leur expérience du monde est soit la seule [soit] la seule bonne. Les NTs ont du mal à être seuls. Les NTs sont souvent intolérants à l'apparence des différences mineures chez les autres. Les NTs ont du mal à communiquer directement, et beaucoup ont une incidence plus élevée de mensonges par rapport aux personnes autistes.

Causes
Le [SNT] est censé être d'origine génétique. Les autopsies ont montré que le cerveau du neurotypique est généralement plus petit que celui d'une personne autiste et a surdéveloppé les domaines liés au comportement social.

Tendance
Malheureusement, plus de 9 625 sur 10 000 personnes pourraient être neurotypiques.


Traitements
Il n'existe pas de remède connu pour le Syndrome Neurotypique.


Adaptation

Dans de rares cas les NTs peuvent apprendre à compenser leur handicap et [à] interagir normalement avec des personnes autistes.


Critères diagnostiques du Syndrome Neurotypique


A. Altération qualitative de la communication comme le témoigne au moins un des éléments suivants:

Retard ou absence du langage parlé (surcompensation par d'autres modes de communications comme le geste, la mimique ou l'interprétation)
Chez les individus maitrisant suffisamment le langage: incapacité à ne pas interpréter les conversations avec autrui de manière illogique (en cherchant continuellement des doubles-sens par exemple)
Usage stéréotypé et répétitif du langage. (ex : « Comment ça va ? » «  Ça va bien »)

B. Altération qualitative de l'autonomie affective, comme en témoigne au moins deux des éléments suivants:


Obsession marquée de comportements non-verbaux, vagues, indéfinissables, propres à chaque personne tels que le contact oculaire, la mimique faciale, les postures corporelles et/ou les gestes.
Incapacité à établir des relations avec les pairs possèdent un autre mode de fonctionnement sans faire abstraction d'une interprétation l'amenant directement à une carence affective excessive.
Recherche extrême ou anormale de confort dans les moments de détresse (cherche le réconfort d'une manière stéréotypée, attire l'attention [même] lorsque peu blessé)
Le sujet n'arrive pas à s'estimer suffisamment de manière autonome, ce qui l'amène à partager constamment ses plaisirs, ses intérêts ou ses réussites avec d'autres personnes.
Recherche constamment l'attention car incapable de rester seul.
Présence de réciprocité sociale ou émotionnelle : le sujet n'existe pas sans le regard des autres.

C. Caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements sociaux, des intérêts et des activités socialement acceptables, comme en témoigne au moins deux des éléments suivants :


- Préoccupation circonscrites à quelques centres d'intérêts stéréotypé et restreints permettant de sauver l'image sociale, tant dans son intensité que dans son orientation.
- Adhésion apparemment inflexible à des habitudes ou à des rituels spécifiques d'une incohérence marquée, mais fonctionnels pour la norme.
- Maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs dont l'absence de cohérence avec l'émotion vécue provoquent une distorsion.
- Préoccupation persistante pour certaines parties du corps.

D. La perturbation entraîne un modelage cliniquement significatif du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants.

E. Il n'existe pas de retard général du langage mais la récurrence du manque de précision et de clarté de la communication est significative sur le plan clinique.

F. Au cours de l'enfance, il y a eu diminution de l'autonomie de penser et de la curiosité pour son environnement. Il y a cependant eu un apprentissage accéléré du comportement adaptatif.

 

 

Je suis neuro-typique, je suis donc assez dans la merde de ce point de vue… mais j'y suis de toute façon déjà, pour m’attirer des remarques acides de neuro-typiques quand je m’essaie à péter les conventions de langage et de comportements, à décortiquer les croyances et les valeurs qui en découlent ou les précèdent - l'oeuf ou la poule? Un petit sport de l’esprit qui fait rire les plus tolérants : tout ce que j’ai envie de dire ne fait pas rigoler les bien-pensants. 

Les Aspies sont des touristes perpétuels au pays des neuro-typiques, puisqu'ils n'ont pas intégré la langue maternelle sociale neuro-typique.

J’essaie (j’essaie !) de leur expliquer ce qui se passe, les connivences de langage ou de comportement qui les déroutent. C'est cette amie aspie qui m'a expliqué ce qu'elle vivait, et depuis, quand quelqu'un manifeste un décalage quelconque, je me comporte avec lui comme avec un touriste perdu dans les coutumes locales. Je ne peux pas m'offusquer de son incompréhension, ce ne serait pas poli. Anecdote : à un concours d’entrée à une formation qui l’intéressait et pour laquelle elle a un don certain, elle a échoué. Tout était bon, mais elle a récolté une note éliminatoire à la partie « Ethique sociale » ou un truc du même tonneau.

 

 

Dans mon boulot de formatrice d’auxiliaires de santé, j’y repense et je pratique le plus possible cette attitude « explicative », tant le monde des soins est un univers étrange pour quelqu’un qui y débarque. J’ai aussi dû apprendre comment coter les attitudes professionnelles des gens que je croise en examen pratique, il y a des codes formateurs que j’ignorais, des exigences en savoir-être dont je dois me faire l’ambassadrice alors que j’ai été éduquée, quelque part, à trouver coûte que coûte comment faire accepter aux patients une toilette ou un bout de marche. Jusqu’alors, seules les situations extrêmes me faisaient sentir l’inadéquation d’imposer un traitement : un jeune médecin aux urgences s’était mis en colère lorsque je lui avais dit que je ne mettrais pas en route la transfusion prescrite à un témoin de Jéhovah – c’était à lui d’aller parlementer avec le patient. Mais toutes les situations de maltraitance ne sont pas aussi évidentes, pourtant on y est en plein: les moqueries de gosses à l'école à l'égard de celui qui ne comprend pas les choses réputées drôles, ou même habituelles, c'est monnaie courante. Bref, faut tout leur expliquer, aux gens qui apprennent. Y'a pas de questions connes, que des rythmes différents, et des évidences évidentes que pour ceux pour qui c'est évident.

 

Les Aspies m'ont ouvert une voie parallèle : oser reculer les limites des conventions, casser des schémas de communication, oser des franchises libératrices. Je leur en dois, à coup sûr.

Quelques épisodes marquants que je rapproche de ce vécu:

J’ai eu une belle et durable relation avec un anglophone, ça m’obligeait à ne rien prendre pour acquis, à marcher sur des œufs, à surveiller l’exactitude de ce que je voulais dire. Même combat, dans une langue à coup sûr plus simple à acquérir que la mienne. Une sorte de nettoyage mental perpétuel, de remise à zéro des compteurs obligée pour être dans une relation authentique.

J’ai vécu l’exclusion en participant à des rencontres de sourds profonds, moi qui n’ai que le B.A. BA de la langue des signes et qui oublie vite le peu que je sais dès que je perds le contact régulier avec leur monde. Prendre rendez-vous avec Sophie, sourde profonde, signifie que quelques jours avant je dois réviser pour qu’elle n’ait pas à faire tout le boulot de lire sur mes lèvres. Une politesse minimum. Et je dois faire des « taquets d’horreurs », comme dans « 4 mariages et un enterrement », la fille si intéressée par un beau gars sourd qu’elle en prend des cours de langue des signes pour pouvoir l’approcher.

« Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel », la norme n’est pas la normalité, juste un standard pratiqué par une majorité.

 

Les minorités en matière de communication vivent l’exclusion, c’est interpellant de se retrouver en minorité parmi ces minorités. J’ai du pain sur la planche, pour le moment je suis en pleine errance avec quelques rares balises en pleine mer: communiquer avec elles avec mon lourd bagage de neuro-typique et d’entendante me donne du fil à retordre, je deviens l’handicapée de service.

 

J’essaie de capter leurs codes, c’est pas gagné, heureusement qu’ils sont gentils avec moi et m’expliquent leur monde.

 

 

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