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16 décembre 2012 7 16 /12 /décembre /2012 08:26

 

 

     Vous je sais pas, mais moi chaque fois que j’entends cette petite phrase assassine, « Je sais ce que tu ressens », tout mon être frémit de révolte. C'est la phrase-bateau des séries américaines…

Non, tu ne sais pas ce que je ressens, tu ne peux pas savoir, tu n’es pas moi.

Voilà la réplique la plus non-écoutante que je connaisse, le summum de la non-empathie. Elle est immanquablement suivie de recommandations et de conseils, de solutions toutes faites à la mesure de celui qui les prodigue. L’ensemble traduit juste le besoin de parler de soi, alors que ce serait le moment de fermer sa grande gueule pour en apprendre plus sur la souffrance de l’autre, histoire de se mettre à son service, vraiment.

 

« Je sais ce que tu ressens », mais c'est juste n’importe quoi. Comme si les sentiments et les ressentis étaient standardisés… mais à la réflexion, quelque part, ils le sont. La psychologie, c’est un truc très précieux qui aide vraiment beaucoup de gens en désignant ce qui n'est que des archétypes culturels, en repérant des valeurs et des croyances comme telles et en les déguillant de leur piédestal de vérités ; par contre, la psychologie à la petite semaine, la psychologisation, c’est un instrument de contrainte pour faire taire ce que la douleur de l’interlocuteur réveille par miroir chez le donneur de conseils ; et par retour logique des choses, fait se taire la personne en détresse.

Ce n’est aucunement de l’empathie, ça, mais de la compassion, en somme, quand on se met à avoir tellement mal devant le souci de l‘autre qu’on n’est plus là, à lui, mais dans sa peine à soi. La confiance faite en mettant dans la confidence est immédiatement détournée pour un profit personnel : revivre une douleur, ou la tenir à distance.

 

Dans les deux cas, on n’est là que pour soi, l’autre est utilisé comme résonateur de nos propres souffrances. Ou si nous ne souffrons pas autrement, l’autre est mis au service de nos propres ambitions.

 

Je me souviens d’un brave couillon d’infirmier qui en servant un plateau de midi, se mit à donner des cours de base de diététique à un diabétique amputé de ses deux jambes, tranches par tranches, dans les 10 années précédentes. Engueulée magistrale de la part du patient, et retraite piteuse de la blouse blanche, qui ne comprenait pas pourquoi sa bonne volonté était si mal reçue. Mais c’est simple mon vieux, et ça se résume comme ça « De quoi je me mêle ? ». Le patient avait vu ses jambes se faire saucissonner année après année, ça servait juste à l’ego de l’autre de commencer à donner un cours magistral absolument inadéquat - de bon coeur, mettons, mais envahissant et intrusif. Le pire, c’est les pleurnicheries ensuite, du genre « il n’est pas reconnaissant de ce que je fais pour lui ». Oh, dis, atterris, t’as juste fait quelque chose pour toi, sans te préoccuper de l’utilité réelle de ta démarche.

Le truc le plus poisseux du soignant, c’est de mettre le patient à son propre service ; mais au fond,  c’est malheureusement la motivation principale de la plupart pour exercer ce métier. L’estime de soi passe ainsi par le besoin d’estime de la part des autres, un truc louche comme la gratification de s’entendre dire que l’on est un demi-saint, le besoin que les autres aient besoin de nous. Je dirais que c'est un truc de bonne femme, ça... Et y'a pas à dire, même s'il y a des garçons dans la profession, y'en a peu, et ils tendent à partir dans les hautes sphères de la hiérarchie assez vite.

Ca me met en rogne, ce besoin qu'on ait besoin de nous ; mais en même temps je ne peux pas en vouloir à des milliers de générations de femmes formatées à être au service de leur entourage, donc par extension, à "être au service de" tout court et de manière générale. Et puis moi aussi j’ai commencé par là, en partie du moins : le fait est que c’était immédiatement rentable et m’assurait mon minimum vital pendant ma formation. Ce n’était pas par esprit de lucre (avec une paie d’infirmière, faudrait y aller !), mais par recherche d’indépendance pour ma survie mentale. Mais comme ceci ou comme cela, une prosaïque histoire de pognon, point-à-la-ligne.

Très vite, le truc relou m’est apparu : mettre en place des solutions à la con, pour s’étonner ensuite que tout s’écroule, mais parce que les ambitions n’ont pas tenu compte de la réalité ni de la personne elle-même. Ce qui permet un éternel recommencement, du haut de son savoir et de son autorité en uniforme, pour recommencer les mêmes conneries, indéfiniment. Et tenir le client en état de dépendance maximale. Quelque chose que j'ai appris en formation, et c'est grave: si l'on n'y allait pas d'un petit laïus plutôt pompeux sur ceci ou cela auprès des patients, l'on était mal noté.

 

Quel soignant gratifié par le sentiment qu’on a besoin de lui va laisser un bénéficiaire de soins devenir autonome et indépendant ? Je n’y crois pas ; ce serait laisser échapper une juteuse perspective de profit personnel.

Je le vois avec une consternante régularité pendant les examens pratiques que je fais passer, la blouse blanche est passée maîtresse dans l’art du gnangnan et du cucul, sinon dans le ton de voix, dans l’art très subtil d’infantiliser quiconque est momentanément ou durablement affaibli. Ajoutez-y la honte d’être torché, lavé dans son intimité ; saupoudrez de l’enchaînement habituel des « Mais vous êtes si gentille » (comme si c’était une qualité intrinsèque - manquerait plus que de rajouter un couplet sur la vocation, qui vient d'ailleurs dans la foulée si souvent! La vocation: terme des plus ambigus dont on ne sait s’il parle d’une disposition naturelle et facile à accomplir quelque chose, ou d’un appel divin interne). Et toute la recette est présente pour perpétuer un malentendu d’intentions assez risible, au fond. Ca me rappelle au passage le stupéfiant couplet d'un garçon prétendant que nettoyer un bébé de ses selles est plus naturel à une fille qu'un garçon, parce que c'est génétique. On me la recopiera, celle-là...

 

Parfois, quand ça partait pour trop me gaver, je glissais que j’étais payée pour ce que je faisais, et que je n’avais aucun intérêt à ne pas être douce dans mes gestes, vu que ça risquait de me donner encore plus de travail. Le silence qui suit est très reposant, croyez-moi. L’album des images d’Epinal se referme… l’herbier à poncifs éculés retourne aux archives…

 

Ce qui me faisait le plus chier, c’est que je me rendais compte que cette attitude se retrouve très facilement dans le privé, la famille, que ça manipule sec dans la foulée, ficelant les relations dans la prison des devoirs, et des dettes morales créées de toutes pièces au moyen de la culpabilité. On n'atterrit pas dans ce genre de profession par hasard non plus, hein... Quand on sait que se proposer pour la vaisselle et le ménage est quelque part la preuve qu'on arrive à maturité pour une fille, mais que pour un garçon, dans certains milieux, c'est limite de se demander s'il n'est pas pédé! (Pardon à tous mes potes gays, au passage), ben on y regarde à deux fois.

C’est fou comme des parents peuvent formater un gamin à confondre « obéir » et « faire plaisir », induisant la superposition de la mortification et de la joie, le bel oxymore que voilà pour un futur masochiste. Ou un soignant, tiens.

C’est ce genre d’ambiance familiale qui m’a facilité l’entrée dans les soins,  heureusement quelque part, sinon cette voie vers l’indépendance financière me serait restée fermée. La rébellion est venue plus tard, quand j’ai commencé à pressentir combien la cornette et le poids du genre féminin sont encore présents dans l’esprit des soins et des soignés

25 ans plus tard, je côtoie toujours aussi peu de mecs de ma génération dans ce domaine de compétences ; je déplore l’esprit « panier-de crabes » d’un métier exercé principalement par des femmes - je dis pas que c'est mieux du côté des métiers dits "d'homme", chaque genre a ses petites habitudes en matière de compétition (l'émulation, c'est si rare). Ce qui me hérisse, c'est que certaines activités permettant tout juste d’avoir le minimum vital soient plutôt l’apanage d’un sexe soumis dès sa naissance et voué aux basses besognes, malgré tout - femmes de ménage, aides en tout genre. Et que l’on ait tant à se débattre pour sortir de la mièvrerie, de l‘infantilisation et du calcul inconscient des bienfaits à soi-même que ça procure, et de l'inconfort si prompt à débarquer quand le prestige disparaît lorsqu’une erreur est commise, comme si la blouse blanche se tenait sur un piédestal branlant. Ce qui est normal… car c’est une imposture.

Le soignant peut d’ailleurs être une démonstration vivante du jugement de valeur : savoir déchiffrer des résultats de laboratoire peut vous donner une aura de roi… et ne pas vivre soi-même les affres d’une dépendance vitale aux médicaments, à l’alcool ou autre chose peut faire tenir des discours effarants de connerie, même si l’on sait palper un foie.

J'entends si souvent dans les entretiens de candidature à la formation d'auxiliaire de santé que la motivation de la personne candidate, c'est que cela lui fait du bien d'aider les autres... que je me dis encore une fois que décidément, on se demande qui soigne qui.

 

A bon entendeur.

 

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