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21 avril 2013 7 21 /04 /avril /2013 18:42

       

 

      On parlait sur un certain forum de la place de la volonté dans la recherche de l’abstinence (entendez par là la non-prise de n’importe quelle substance à laquelle un dépendant se turlute le cerveau). Débat chaud et qui se dilua vite, je pense, principalement parce que la morale revenait s’en mêler, alors qu’un autre point chaud avec lequel le dépendant se bat est la culpabilité.

 

Morale et culpabilité me semblant si bien intégrées inconsciemment, que le propos s’enlisa, poil aux bras.

 

Je me réfugie donc ici pour reprendre les choses tranquillement, poil aux dents.

 

Tout était parti d’un article sur Wikipedia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Volont%C3%A9_(philosophie)

 

 

     J’aime bien Wikipedia, y’a de bonnes bases quand même, et en regardant la webographie des articles, on voit déjà si c’est trop orienté, ou assez neutre. Mais là, gloups, avec l’éclairage de ce avec quoi le dépendant se bat au quotidien, j’ai senti mon poil se hérisser.

 

 

C’est vachement moral, comme discours…

 

 

    Je lis l‘article, et le trouve plein de pièges et de syllogismes dès le premier paragraphe.

 

La volonté désigne le plus souvent, la faculté d'exercer un libre choix gouverné par la raison, autrement dit la faculté qu'a la raison de déterminer une action d'après des « normes » ou des principes (par exemple, moraux). En cela, elle s'oppose à la spontanéité du désir, ou aux « instincts naturels », dont la réalisation ne fait appel à aucune délibération. La volonté est ainsi l'expression de la liberté de l'arbitre chez un sujet, ou la manifestation de sa capacité de choisir par lui-même, sans contrainte extérieure.

 

 

 

Mon cul! Gare les bicyclettes!

 

Dans le contexte qui nous occupe, si la raison raisonnée devait suffire à ne pas avoir de comportement dommageable à la santé, personne ne serait dépendant. Or, on le sait, ça ne suffit pas. Et si l’on cède à une pulsion, c’est à cause d’une raison bien précise, d'un événement déclencheur. Et l’existence de normes, de principes moraux, en tiraillant la personne dépendante, est en soi un déclencheur de fond du comportement de survie psychique qui consiste à étouffer l’angoisse avec la substance de son « choix ».

 

Céder à une pulsion, pour quelqu’un qui s’est construit avec l’alcool ou la nourriture comme anxiolytiques puissants, c’est spontané, instinctif, naturel, puisqu’aucune délibération n’a lieu avant le raptus, soit. Et le truc du libre-arbitre me dérange également aux entournures ; si on parle de la capacité à faire des choix, alors un alcoolique ou un outremangeur fait le choix, constamment, de survivre psychiquement en se pétant la tronche ou l'estomac. Si si.

 

Mais si toutes ces notions, « raison », « libre-arbitre », « capacité de choisir » sont prises hors-contexte et dans une zone absolue désignant ce qui se fait et ce qui ne se fait dans une société donnée, alors en effet on se trouve dans une piscine de moralité, qui émane des moeurs en vigueur. 

 

J’aime mieux l’éthique, c’est très différent de la morale, c’est un autre outil plein de richesses et d’humanité, qui ne tranche ni ne juge, ne donne aucune réponse définitive et tient l’esprit en alerte.

 

 

 

Plus loin dans l'article, dans les « Généralités », je continue à m’interroger…

 

Philosophiquement et psychologiquement, «la volonté ne semble donc pouvoir exister que chez un être capable de se fixer à et par lui-même le principe de son action d'après une délibération réfléchie».

 

Amalgame douteux ! Pour beaucoup de domaines et d’actions de la vie quotidienne, n’importe quel pulsionnel dépendant est capable de volonté ; mais parce qu’il n’est pas en mesure de contrôler sa consommation, tous ses autres actes en deviennent nuls ? C’est le reste de ces généralités dans l’article qui donne une clé de compréhension dans ce sens : « Au sens « moral », « faire preuve de volonté », ou « avoir de la volonté », implique de la ténacité, c'est-à-dire de la détermination (ou résolution) et de la persistance (ou constance), dans une « succession » d'actions poursuivant un même objectif. Il s'agit donc d'une certaine « force du caractère », autrement dit aussi d'une vertu morale. »

 

Tiens tiens, qui revoilà?

 

Si la volonté est généralement perçue comme le moteur principal de l’être humain, je veux dire par là ce qui lui donne de la valeur aux yeux des autres, le dépendant est en effet très mal barré, même guéri, ou en rémission, comme on voudra ! Moi ce qui m’interpelle, c’est ce mode de pensée philosophique hérité des Antiques, un décorticage qui cherche à catégoriser pour y voir clair, mais teinté de morale de l’époque. Et puis à l’époque médiévale, le clivage entre Bien et Mal, qui laissait peu de place pour la réflexion distanciée. Et même Freud, qui a formaté la psychologie comme une espèce de truc qui conduit à la maîtrise de l’existence… ça nous fait du boulot pour sortir du rôle de mauvais objet…

 

 

     Le passage sur le libre-arbitre continue de me laisser sur le popotin: "Pour agir librement, il faudrait alors que l'homme soit capable de déterminer de manière autonome ses actions, non pas en obéissant à ses désirs égoïstes (inclinations naturelles), mais d'après la représentation d'une loi ou d'un principe (établis par sa seule raison)." Ben tiens, j'aurais dit juste le contraire: il n'y a pas de libre-arbitre exercé s'il est subordonné à une loi ou un principe raisonné alors que la personne est imprégnée de la morale ambiante.

 

Au contraire, si les inclinations naturelles souvent bridées par la morale (pour preuve ce terme qui les qualifie d' "égoïstes") sont mises en compétition avec cette même morale, elles conduisent l'individu à adopter des comportements et des masques en porte-à-faux pour ne pas entrer en conflit avec la morale et l'entourage. Ca se paie forcément au final...

 

     Je continue avec les dilemmes moraux, qui font référence aux dilemmes cornéliens, comme modèles. Donc à des personnages tiraillés entre des valeurs concurrentes et qu'ils considèrent comme égales. Mais des valeurs de l'époque de Corneille, et qui paraissent désuètes à notre époque, les mœurs et la morale ayant bougé…. Et avec la fascination de cette époque pour l’Antiquité… Un dilemme moral est donc bien le reflet d'une époque donnée et de ses mœurs. La faiblesse de la volonté est évoquée comme un problème moral qui touche à son fonctionnement, c’est celui de sa possible faiblesse (voire de son entière impuissance). Bien sûr que si on pose l’a priori que la volonté s'oppose, en principe, aux pulsions naturelles et aux désirs spontanés auxquels elle nous permet de résister... et qu’en pratique, il est fréquent qu'elle n'ait pas la force suffisante pour y parvenir... et bien ceci explique cela.

 

Mais c’est le postulat de départ, posé par la philosophie antique grecque, qui mène à ces considérations ; et pose encore une fois le problème comme une sorte de raisonnements et de déductions absolues selon des valeurs morales de cette époque et cette société. Il est question de faiblesse de la volonté lorsque nous agissons à l'encontre de ce que nous considérons pourtant comme le meilleur choix. Or nos choix ne sont pas exempts de tout ce qui les imprègne, nos choix sont formatés par l’environnement. Du coup, il ne saurait y avoir de ligne droite et imparable, surtout pas si le postulat suivant se pose en vérité vraie ; c’est-à-dire comme la question des rapports entre la volonté et le désir, ou encore aussi entre la raison et les émotions. Et puis, parfois il n'est possibel que de faire le choix le moins pire.

 

Encore un clivage qui ne laisse aucune marge de manœuvre à l’esprit. Le droit et la loi qui nous régissent portent aussi en eux les fondements moraux de l’Antiquité, puisqu’ils ont évolué à partir d’eux, même si les mœurs et la morale ont changé à bien des égards. On peut renier ses pères, mais pas sa filiation…

 

Si on parcourt les diverses philosophies, on voit qu’elles se développent vers des axes différents de la philosophie occidentale qui s’érige en mode de vie (voyez l‘article de Wikipedia et son bâti !). Leur point de convergence reste, semble-t-il, la proximité de la religion avec la philosophie. Un Dieu, pas de dieu, beaucoup de dieux…

 

       La philosophie change de visage assez radicalement une fois qu’elle se sépare vraiment de la religion, des croyances, soit de ce qui a été assimilé comme la Vérité dans un premier temps. Sous nos latitudes, par exemple, le catholicisme pose des rapports terrestres avec Dieu qui transitent par un Père à qui l’on se confesse, qui absout au prix du repentir et de quelques prières. Le protestantisme, ensuite, se passe de la confession, le pasteur est un guide, le croyant s’affranchit donc de la tutelle paternelle du catholicisme. Plus loin, on commence à invoquer la réintégration du souffle divin dans l’individu, qui devient son seul juge et doit se colleter lui-même, comme un grand garçon, avec ses tiraillements internes entre la morale et son désir de liberté. Responsable et autonome, en somme.

 

Du coup, j’aime bien constater la lutte qui habite le débat, en passant de l’époque médiévale qui fixe les archétypes du Bien et du Mal, à l'époque moderne ne laissant que peu de marge à ses philosophes malgré tout - bon, peut-être qu'ils pensaient encore plus large que ce qu'ils s'autorisaient à écrire, pour une question, tiens donc, de morale et de moeurs - vu que de nos jours encore, on peut finir en prison pour délit d'opinion, et même... de sale gueule.

 

      Parmi les philosophes qui me marquent bien, là, je vois d’abord Descartes et sa morale provisoire, sa démarche faisant la part belle au doute : la volonté nous permet d'affirmer ou de nier tout ce que nous voulons, le vrai comme le faux ; mais ce que notre compréhension nous fait concevoir n'est pas toujours clair et assuré, et donc notre faculté de connaître est non seulement limitée, mais aussi victime de certaines illusions. Au terme de sa réflexion, il considère que la liberté d'un choix vient surtout de la conjugaison de la volonté avec la connaissance.

 

On est déjà dans une démarche où rien n’est sûr, mais où se dessine un choix qui va plus vers l’éthique individuelle que la morale de groupe. Bon, je trouve qu’il est encore dans une démarche de couper ses élans de réforme et de changement, puisqu’il prône de se restreindre plutôt que de se libérer – c’est du moins comme ça que je le comprends.

 

Avec Rousseau, on passe à une perception de la volonté qui confronte les volontés générale, des particuliers, et de la majorité, et cherche l’équilibre vers le bien commun.

 

Chez Kant, on baigne toujours dans la morale comme facteur essentiel sur lequel repose la recherche du bonheur. Il dit que rien n’est absolument « bon » en soi, dans le monde, hormis la « bonne volonté » ; et tout en se soumettant à une loi morale qui pose le clivage, toujours, entre la sensibilité (les penchants égoïstes) et l’obéissance à une loi morale à laquelle on adhérerait par respect ; il commence pourtant à parler de déontologie, et d’intentionnalité derrière les actes… mais sous couvert d’universalité. Je subodore qu’il s’agit encore ici de poser un système de référence élaboré par des penseurs, en quelque sorte habilités à poser les résultats d’une réflexion déontologique pour tous (la déontologie universalisable), mais pas encore de prôner la réflexion individuelle et autonome de tout un chacun. Pour Kant, mal agir c’est vouloir pour soi un état d’exception. (Ben, heuh, je trouverais logique que chacun le veuille pour soi, car au-delà de ce qu’il faut de guide-ânes de conduite pour vivre à peu près en paix avec ses voisins, ses collègues et sa famille… nous sommes tous des êtres d’exception…)

 

 

Et nous voilà à Schopenhauer, et la fin de l’article (Nietzche est mentionné, mais pas plus…).

 

Et là, ça commence à me plaire, le concept de « volonté de vivre » (Wille zum Leben) comme un principe universel définissant la lutte fondamentale de chaque espèce pour réaliser le type qui lui est propre ; passant par un conflit constant avec les autres espèces pour préserver une forme de vie définie.

 

Elle se confond avec la volonté tout court… qui s’oppose à l’intellect. La Volonté est l'essence intime du monde, une force, une puissance aveugle et absurde, un principe dépourvu de savoir et de connaissance. Elle s'impose d'abord à nous avec une puissance telle qu'on ne saurait décider arbitrairement de lutter contre elle, et c'est justement sous son impulsion presque irrésistible que nous en déduisons généralement ensuite - mais néanmoins par illusion - que la vie a de la valeur.

 

"Selon Schopenhauer, seuls le sentiment esthétique, l'ascétisme religieux et la compassion pour toute la douleur du Monde, permettent de l'atténuer très partiellement, et d'échapper ainsi à la souffrance ou à la haine qu'elle ne peut manquer de susciter chez qui dispose d'un minimum de lucidité intellectuelle."

 

On est loin de la morale moralisante… vous sentez comme ça pulse profond, tout d’un coup, combien elle est vaste, cette source d’énergie où puiser de quoi aller vers une vie meilleure, avec moins d’entraves, moins de culpabilité, et le credo que quelle que soit la mésaventure ou même l’horreur et la douleur qu’on traverse, l’espoir nous pousse au cul ?

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