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20 janvier 2010 3 20 /01 /janvier /2010 11:17

 

 

      A la faveur d'une situation professionnelle très embarrassante vécue voilà quelques années à présent, cherchant à comprendre ce qui se passait, je suis tombée sur un très intéressant bouquin de Natacha Henry, « Les mecs lourds ».

(Je vous livre la substance de l'épisode - des épisodes parce que ça revenait à chaque visite: un mec de la soixantaine, paraplégique depuis son enfance, qui tient à recevoir chez lui vers 22 00 des infirmières d'un certain niveau culturel, pour l'aider à soulager sa vessie, dans une position gênante. Et maintient une posture séductrice, et parfois ose un discours du genre "j'ai rendu quelques femmes très heureuses". Au point que j'y allais presque débraillée, pour finir.)

 

Sous-titré : « Le paternalisme lubrique », le livre en question évoque avec subtilité ces comportements essentiellement masculins, capables de faire tourner n’importe quelle conversation au malaise ; cette façon vulgaire ou équivoque de mettre pour ainsi dire ses couilles sur la table, d’introduire le sexuel dans la discussion sans qu’il y ait pour autant l’ombre d’une séduction. Et finalement, de mettre la femme en position d’infériorité, en l’espace de quelques mots.

 

J’ai ri d'abord, j’étais soulagée de voir noir sur blanc la preuve que je n’étais pas seule à serrer les fesses depuis… depuis quand ? mais… depuis le plus loin qu’il m’en souvienne. Puis j’ai ri jaune, pour tomber ensuite dans un abîme de réflexion. OK, mettons qu’on a le beau rôle, nous les filles, et que vous avez le tort, finalement, d’être ce que vous êtes, les gars.

 

Mais ça ne peut pas être aussi simple.

 

Qu’à force, pour les unes, de porter les enfants dedans et dehors du ventre pour mieux les nourrir et les protéger, et pour les autres d’être libres de leurs mouvements, certaines compétences aient fini par s’inscrire sur le deuxième chromosome de la paire sexuelle, soit, peut-être. Que les aptitudes naturelles se soient plus ou moins développées différemment, de manière générale ; que les hommes soient moins capables que les femmes de mener à bien plusieurs tâches en même temps, et les femmes moins ferrées sur le sens de l’orientation, je peux le concevoir. Là n’est pas la question – d’ailleurs, si l’on ne nous élevait pas selon le sexe, que deviendraient ces amusantes constatations ?

 

     Bref, à l’heure où le sauvetage de la planète est une préoccupation constamment présente, alors que nous nous apprêtons à redéfinir bien plus de choses dans nos manières de vivre, je commence à penser écologie de la relation. En lisant le livre de Henry,  j'en ai pris plein la gueule, personnellement - je veux dire qu'à partir de là que j'ai compris pourquoi certaines de mes relations avaient calé, littéralement.  J’ai capté pourquoi je m'étais barrée d'une histoire qui naissait, après un truc apparemment anodin, mais qui me fichait grave le bourdon, sans oser le dévoiler pour autant, par peur de ne pas savoir comment me défendre d’accusation de pimbêche-qui-manque-d’humour. C'est pas du harcèlement, ma pauvre Martha… c’est pas du harcèlement, mais un peu plus, et y a de ça.

 

Or, si ce sont des choses qui font beaucoup de dégâts dans les relations, attirer l’attention sur le phénomène pour le débusquer n’est qu’une affaire de se sentir légitimées à le dénoncer, et le refuser ; et au quotidien si nécessaire.

 

Et pour aller plus loin qu’une simple et simpliste guerre des sexes, je pense à un autre comportement, féminin celui-là, disqualifiant l’homme parce qu’il est homme. Que le tomahawk reste enterré là où il est, un effort est à faire des deux côtés. Hé oui !

 

 

     Car l'équivalent de cette attitude chez les filles, c'est la disqualification sournoise à l'égard des hommes. Pour pas mal de femmes, ils ne font jamais assez bien, ni en amour, ni en intendance, ni même en pissant debout – ah l’inénarrable guerre de la lunette de WC…

 

Et ils se retrouvent de facto dans le rôle qu'on leur assigne, c'est-à-dire "gros faux-bourdon qui fait du bruit"... mais parfois appelés le temps de féconder, donc de prendre responsabilité de paternité… puis de payer l'éducation de la descendance, tout en étant maintenus hors-ruche.

 

 

     Ca ne vous dit rien ? J’exagère ? Jamais repris des mains d’un compagnon le couteau-économe qu’il brandit pour ponctuer son discours, complètement inconscient du fait que l’eau va bouillir avant que les patates soient épluchées – crime de lèse-organisation ? Jamais ri en douce de voir le gars ne pas penser à mettre en route la lessive avant de partir en courses, histoire de n’avoir plus qu’à étendre le linge en rentrant, et de pouvoir mettre un pantalon bien sec demain – crime de lèse-anticipation ? Jamais dit « Je préfère le faire moi-même, ça ira plus vite » - crime de non merci pour ton aide, j’ai bien assez de peine toute seule ? Jamais observé de loin comment il change le bébé, ni pouffé de sa maladresse quand il faut gérer un gigoteur, une couche au contenu explosif, le petit robinet qui se met à pisser en l’air juste à ce moment, les scratches de cette saloperie de pampers, et les hurlements d’impatience du gigoteur en question ? Allez… honnêtement ? Jamais jamais jamais lancé, même un petit « Ah les hommes ! » ?

 

 

Huuu, la menteu-eu-euse…

 

Bon… Trêve de plaisanterie. En tant que femme, comme  je connais mieux la face obscure  des mecs lourds, je m’en vais la décortiquer d’abord, c’est logique.

 

Je glane ici et là dans l’ouvrage de Henry des bouts de réflexion percutants. .. que je rapporte à quelques anecdotes vécues.

 

 

    Le harcèlement de rue, d’abord. Une nuit d’été, je rentre à pied chez moi après une soirée disco, histoire de prendre le frais, de profiter de la douceur, parce que je n’habite pas loin … Un peu sur mes gardes quand même, un peu plus vigilante que de jour sur le même trajet, un peu plus qu’un gars ne le serait, je pense. Les rues bien larges, le voisinage d’une clinique, quartier tranquille… je savoure de laisser  retomber gentiment le rythme et la musique en moi, quand même, c’est cool de pouvoir rentrer tranquille …

 

 … des pas derrière moi qui se rapprochent, je me raidis tout en ayant vaguement conscience de me le reprocher, pauvre fille parano va, je me souris à l’intérieur…

 

… et cet ignoble commentaire qui tombe de nulle part « T’as un beau cul, j’ai envie de te baiser ». Sans hésiter je me retourne en hurlant sur le type - un freluquet, un rien du tout épais comme ma main - en m’avançant très vite sur lui ; il bat en retraite précipitamment, bredouillant, et disparaît. Et je rentre écœurée, frissonnante de dégoût. Promenade gâchée. On est en Suisse… quel calme, la Suisse, pays privilégié, de quoi se plaint-on. Je devrais m’estimer heureuse de pouvoir me risquer ainsi sur la voie publique.

 

Et ben non !!! En quel honneur devrais-je céder sur ma liberté à déambuler de nuit et mon droit à profiter de ma bulle ?

 

     Une autre nuit, je rentre après avoir été appelée en urgence auprès d’une patiente. Pantalon informe, baskets, vieille chemise, les cheveux relevés en hâte avec un vieux peigne, sacoche de soin en bandoulière. Je m’apprête à croiser un type de la cinquantaine, dégarni, tout rond. Qui fait un bruit de baiser quand je passe à sa hauteur, tout en lançant le bras. Je m’arrête net, je lui gueule dessus, il s’excuse platement.  Je rentre en rage, je sais que je vais mal dormir, mais qu’est ce qui les fait se sentir autorisés à ce genre d’attitude ? Qu’ils n’oseraient sûrement pas en plein jour ?

 

Tout-à-coup, l’espace se redéfinit, en fonction de l’heure tardive, comme un territoire sur lequel je m’aventure à mes risques et périls ; le prédateur est en chasse, et c’est normal que ça arrive, tu pouvais t’y attendre. Pas d’accord ! Ou alors celui qui se sent pousser la virilité sous la lune doit s’attendre à une réaction à la bombe au poivre. Exagéré ? Mais non… juste à la mesure de l’intrusion psychique:

« … Tu te sens impuissante. Tu rentres chez toi et pendant, une heure tu y penses, c’est comme une agression gratuite. Ils ne se rendent pas compte de l’incidence que ça a sur ton psychisme. »  « Les mecs lourds », p. 33.

 

Je m’estime heureuse d’une seule chose : d’avoir la carrure mentale et physique que j’ai, car sinon, je serais rentrée sans avoir hurlé ma colère et déchargé mon stress. Ca aide !

 

Les gars, franchement…dans quel état d’esprit rentreriez-vous vous-même de disco ou du travail ? Penseriez-vous risquer la remarque qui hérisse, donne envie de pleurer et gâchera l'entrée dans le sommeil ?

 

 


 

     Mais quel rapport avec mon sujet ? C’est quand même un cran au-dessus, hein. Et bien juste pour vous faire percevoir ce sentiment, qui est du même ordre : celui de se faire mettre la main au cul mentalement, de devenir aux alentours de minuit une propriété publique. Et même pas besoin d’être ouvertement ordurier, pour nous mettre mal à l’aise… Quand je vous dis que c’est subtil ! Descendons d’un cran , alors.

 

 

De redéfinir l’espace en fonction de l’heure, à se croire autorisé à le redéfinir à sa guise en tous temps pour simple cause de zigounette,  il n’y a qu’un pas : « Questions indiscrètes, propositions grotesques, remarques sur le physique, l’âge ou les vêtements, commentaires obscènes, vulgarité extrême, humour glauque, mauvaise éducation, lourdeur… Le paternalisme lubrique est une expression à la fois condescendante et sexuelle. […] Emanant d’un homme, elle est destinée à une femme qu’il juge inférieure à lui, à cause notamment de son sexe, sa position sociale, son pouvoir d’achat, son niveau d’études et son jeune âge. »

 

C’est ça, le cran au-dessous – et notez bien qu’on part du pire pour glisser vers le plus anodin (humour glauque, mauvaise éducation, lourdeur). Le dernier cran, c’est de croire que même dépourvus d’attraits, pour certains, le simple fait de porter un service trois-pièces, dû au hasard complet ! donne le droit de mettre une fille mal à l’aise. Comme Henry le dit, c'est un shoot de domination masculine ; un coup de coude mental pour se donner du courage, quand on est deux devant une serveuse mignonne, à qui on n’aurait jamais osé un simple compliment si on avait été seul - elle voudrait vous voir les talons, mais doit rester pour encaisser, au propre et au figuré. Ca, c’est différent de la drague en effet : car si dans ce cas je suis libre de dire oui ou non, dans l’autre vous êtes mes clients, et le rapport est inégal. La séduction, ce n’est pas ça. C’est dire avec respect que la fille vous émeut.

 

C’est quelque part une distinction, certes ; mais du moment qu’elle importune sa destinataire, c’est elle et elle seule qui est juge de signifier congé ou pas à l’auteur de la glissade.

 

    Vous vous dites « Oui, mais je suis pas comme ça, moi ». Ha bon, si vous le dites. Jamais ? Jamais jamais jamais ? Sûr sûr ? Jamais proféré un truc après coup regretté ? Ou qui suscite un silence, et des coups d’œil dubitatifs ? Et lourds de la disqualification qu'ils entraînent de facto?

 

Moi, je ne saurais trouver anodine même cette remarque d’un bon, très bon copain :

 

« Prends le côté positif de la chose. Dis-toi que les échanges ont toujours un volet sexualisé. »

 

Sans blague, voyez-vous ça. Et alors ? C’est justement  ce travail de réflexion que je fais, qui empêche que ça dérive, quand la séduction sexuelle n’est pas de la partie ; si un homme ne m’intéresse qu’en tant que personne, mais pas en tant que personne avec un sexe masculin… pourquoi tolérerais-je une atmosphère troublée de par l’insistance à mettre ce sexe entre nous ? Cet exzizibitionnisme mental n’est pas le bienvenu, point à la ligne.

 

Celle-ci de remarque, par contre, me réjouis :

 

« Ben j’ai dis une connerie alors que je voulais faire un compliment, elle a quinté… et je me suis excusé : ce n’est pas à moi de juger pour elle de ce qui la met mal à l’aise. Je n’ai pas réalisé tout de suite, mais c’est vrai, j’ai été très con et sans y penser. »

 

Voilà, ça c’est une bonne idée : nous demander, juste ça.  Juste essayer de vous mettre à notre place, un petit moment. Et chacune son degré de tolérance : je peux être encore plus grossière pour refléter la grossièreté, ce n’est pas donné à toutes les filles… Et nul n'est censé définir pour quiconque ce qu'il doit tolérer, aimer, prendre pour un compliment ou un glaviot sur la manche. Ca, c'est individuel. J'encourage les filles lassées d'entendre des ouvriers siffler et faire des gestes et des commentaires obscènes à leur passage, à se prendre par la main mentalement pour trouver le contremaître, dénoncer ce qui les dérange, et tenir leur cap quitte à menacer d'alerter le patron, voire de déposer plainte. Je dis bien "tenir son cap", car presque à tout coup il y aura minimisation, réplique destinée à vous boucler le caquet, etc. C'est vous qui devenez une chieuse, en somme!

 

 

    Juste pour voir, une dernière question, mais à vous poser honnêtement : à quel moment de la lecture de ce texte avez-vous pensé à une situation vécue, vue ou rapportée ? Que vous soyiez un garçon ou une fille?

 

Ben moi-même, je sais que j'ai mis mal à l'aise quelques messieurs en lançant des petites provocs' pour voir si ça accrochait - et c'était de trop, visiblement. Comme quoi!

 

Et puis tout-à-fait entre nous, j'ai dû apprendre à changer un loupiot et à lui donner le bib'. C'est pas génétique, cette compétence. Et mon nez de fille n'est pas immunisé contre le fumet des couches, juste parce que je suis une fille, comme certains s'aventurent à le dire...

 

Voilà…

 

 

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