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11 décembre 2010 6 11 /12 /décembre /2010 12:37


 

     Chaque profession a sa petite auréole ou son parfum de soufre… Les stéréotypes, ça rassure. On peut cadrer les gens, s’y intéresser ou les dédaigner simplement en fonction de leur métier.

 

J’ai passé vingt ans sous la blouse d’infirmière, à me débattre pour regarder bien en face mon malaise. Je n'y étais pas bien, je me suis raconté des histoires très longtemps là-dessus, ça m'aidait en attendant mieux.

 

     Passons. Je voulais parler de se retrouver avec une étiquette qui ne nous correspond pas. Quand un habit de travail gêne aux entournures, ce n’est pas forcément parce qu’il nécessite des ajustements: peut-être qu’il faut simplement cesser de vouloir l'endosser.

 

Les remarques stéréotypées à l’égard de ma première profession ont été, je pense, le moteur premier du lent travail de dégagement que j’ai opéré sur plusieurs années.

 

Il y a eu de tout : hochements de tête déférents de gens croisés en boîte ou dans des soupers (hhaaannn… je pourrais jamais faire ça, comme boulot) ou remarques assassines de mes grands-parents (métier de merde car on y nettoie la merde), l’échantillonnage est parlant : le métier n’a pas de valeur en soi, ni celui-là ni n’importe quel autre. C’est ce qu’il représente dans la tête de chacun, et l’aura qu’il dégage, qui est déterminant.

 

Moult fois, j’ai gagné une auréole et une lampe de Nightingale, arborant un sourire fripé et silencieux, tout en répliquant par devers moi que je n’aurais jamais du avoir à faire ça, que dans le fond, moi non plus je ne "pouvais" pas faire ça, que je n'avais pas de vocation, et que je n'avais rien à faire là…

En d’autres occasions, l’acidité des remarques aurait appelé la provocation, mais j’étais trop jeune pour affûter mon discours : je peux dire à présent et pour rendre la monnaie de leur pièce aux méprisants qu’en nettoyant la merde, je l’observais, je la scrutais, je la humais, je faisais des prélèvements pour analyse. A l’odeur, à la vue, je suis capable de détecter que le client saigne dans son système digestif et à quel endroit de celui-ci (et agir en conséquence et parfois dans l'urgence), je peux repérer une pathologie du foie, une infection à clostridium ou à salmonelle, détecter les signes d’une tumeur basse, déduire qu’une diarrhée peut être, paradoxalement, un signe de constipation, et tant d’autres choses… Mes observations faisaient partie de l’appareil diagnostique de toute une équipe de soin ; sans elles, les diplômés de médecine auraient été obligés de venir eux-mêmes inspecter le contenu de tous les vases. Et j'avais honte, quelque part, de savoir faire ça.

 

Sinon, ce que j’ai gagné à mon corps défendant, c’est une brochette de personnes sincèrement intéressées au potentiel d’aide que je représentais - ah, l'infirmière douce, gentille, qui écoute... Concernant certaines relations, des années de pleurnicheries et de temps passé à me faire pomper le mien, et un déclic plus tard (vous savez bien, la énième répétition d'une situation qui vous en rappelle tant d'autres...), j'ai ouvert les yeux sur la raison pour laquelle nous nous fréquentions : un bon resto ou une expédition intéressante contre trois heures passées à analyser la vie de l’autre, à lui dire en douceur des choses à la fois rassurantes et assez sincères pour donner une occasion d’avancer - y compris la gloriole personnelle à s’entendre dire « Ah, que ton regard est compréhensif et vivifiant » -, ça peut être très sympa à vivre, même si on paie soi-même son addition ou son billet de musée (je suis si désintéressée, n'est-ce pas...). Jusqu’au jour où une amie que je connaissais depuis le gymnase m’a appelée à l’impromptu pour aller boire un verre.


Proposition dont la rareté faisait la valeur : flattée qu'une amie pense à moi pour aller profiter d’un moment de détente au bord du lac, j’opinais. La réalité fut différente : arrivée chez moi, elle me parla une heure et demie durant de ses problèmes avec sa fille préadolescente, qui orientait gentiment sa révolte vers un comportement de nymphomane. Après quoi, alors que je rassemblais mes affaires pour enfin aller déguster une glace sous un parasol en contemplant les vagues, elle me remercia chaleureusement de mon écoute et me planta sans plus de cérémonie. Sidérée, je l’ai raccompagnée à la porte… et j’ai amorcé la lente digestion de ce qui venait de se passer. Encore deux-trois épisodes de cet acabit plus tard (dont un où la jeune fille en question m’appela au secours pour une contraception du lendemain), et je réalisais que j’avais juste protégé cette famille de devoir regarder leur réalité en face, celle de parents à l’autorité défaillante : ils sont actuellement pris en charge par une unité de psychiatrie de l’adolescence.

 

Pour une autre, pareil: quelques abus crescendo mirent fin à des années de doute pendant lesquelles je me suis trop souvent demandé si elle était consciente de tout mettre en oeuvre pour me casser mes coups quand je sympathisais (voire plus, si entente) avec un représentant de la gent masculine; quitte à le draguer sous mes yeux, puis à le laisser choir quand il devenait évident que son attention s'était détournée de moi. Comme si j'étais vouée au rôle de spectatrice de sa vie à elle...

 

Ces deux dames ont pris la direction de la sortie de mon agenda, après que j'aie tenté - au moins - de réajuster la relation: je suis devenue la méchante, celle-qui-a-changé, qui-n'est-plus-la-même, portant la faute. Et pourquoi pas? Je me foutais pas bien mal de leur jugement, l'important était de mettre fin au leurre.

 

Rendons donc à César ce qui appartient à César : laisser les autres gérer leur caca (assez à faire avec le mien…). Et quant à moi, aller exercer mes talents dans le domaine professionnel que j’ai choisi et enfin rejoint un peu après mes quarante ans : la médiation de la culture.

 

Ce virage à 180° ne m’a pas privée de mes facultés d’analyse et de recul, mais désormais je noue des relations plus égalitaires, avec des personnes qui me nourrissent réellement et réciproquement, au lieu de me fatiguer à encaisser leurs névroses, tout en me croyant simplement nourrie du simple fait de le faire !

 

Même au sein de la corporation infirmière, faire part de certaines observations heurte les sensibilités : comme le besoin qu’a souvent le professionnel d’entretenir la dépendance. Et qui traduit le besoin qu’on ait besoin de nous. En somme, et préparez vos mouchoirs, la co-dépendance, rien que ça. Terme habituellement utilisé dans la prise en charge des toxicomanies et addictions diverses (joints, alcool, drogues dures, etc). Soulevez la cornette, et contemplez le mécanisme un peu douloureux qui peut s’y cacher…

 

Allez, je retourne m’occuper de mes fesses, y’a presque que celles-là qui m’intéressent.

Les autres paires appartiennent à ceux à qui je pense spontanément et en priorité en ce moment. Et quelques autres encore probablement. Je vous redirai !

 

 

 

 

 

 

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