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9 février 2013 6 09 /02 /février /2013 10:37

     Voilà, je me suis désinscrite hier soir d’un forum de baclonautes, soulagement.

Quelqu’un se plaignait d’effets secondaires de son traitement au baclofène (vous savez, non-baclonautes, ce médicament qui est capable de diminuer voire d’éradiquer complètement la dépendance à la plupart des substances…), et je voyais bien la relation, tout comme la fille qui s’en plaignait, entre une charge énorme en trois heures en fin d’après-midi et des insomnies invalidantes.

Jamais je ne me serais mêlée de proposer ailleurs que sur ce fil dédié aux effets secondaires une répartition différente, qui régularise les prises dès le lever pour faire remplir son office à un médoc qui doit le plus possible imprégner le cerveau en continu.

Et puis, 35 ans d’habitude professionnelle en matière d’administration de médicaments me semblaient une caution acceptable pour risquer autre chose… Exemples : un antibiotique ne se prend pas de la même manière qu’un anti-douleur, le premier doit tuer régulièrement les nouvelles générations de bactéries, jusqu’à la dernière, c’est pourquoi il se prend le plus possible avec des écarts très réguliers jusqu’en fin de traitement, et sur un nombre de jours déterminés qui ne saurait ni être réduit, ni augmenté. Le deuxième, l’anti-douleur, se prend à la demande la plupart du temps, sauf en cas de douleurs chroniques, où un schéma de prises fixes s’augmente de doses de secours ici et là.

     Le baclofène est une sorte d’hybride, en ce sens qu’il est pris pour lutter contre un état chronique avec poussées de pulsion en général vers la fin de journée… mais doit se doser en montant progressivement la charge. Et comme pour la plupart des psychotropes, le traitement s’ajuste en fonction d’un équilibre à trouver entre l’efficacité et les effets secondaires, alors que des antibios, effets secondaires ou pas, ça se prend selon un protocole fixe pour tout individu, à un dosage invariant sur 24 heures. Et puis ça change de personne en personne, et chez une même personne, à chaque montée de dosage.

 

     Bref, je me vois reprocher d’interférer, voire de redonner à la fille en question une certaine autonomie en matière de choix. Psycho-rigidité malvenue, je réponds : on ne cesse de faire appel à la motivation pour entamer et suivre le traitement, la prise d’autonomie étant un facteur essentiel d’un tel changement de vie, au-delà du traitement-même. Briser avec une habitude lorsque la pulsion a disparu, c’est briser aussi avec la construction psychique qui mène à chercher une béquille pour supporter la vie.

 

Alors je déplore ce qui me semble être un simple encouragement au déplacement de la dépendance à une substance, à une dépendance à l’autorité.

 

     Je vois beaucoup ça dans les soins, dans les prises en charge, bien que la charte du soignant comprenne largement de nos jours un objectif clair : amener le client à l’autonomie, c’est-à-dire la capacité à prendre ses décisions soi-même, lorsqu’on est dûment informé. Encore faut-il qu’on souhaite, comme patient, être responsable ; un chemin qui n’appartient qu’à soi, clairement, mais si les soignants ou ceux qui s’improvisent comme tels remplacent une dépendance à une substance par une dépendance à leur pouvoir, c’est moche. Maintenir une personne dans un schéma de prise qui provoque des effets secondaires, pour moi, ça devient un tort moral. On parle plus alors en termes de cure qui vise un certain résultat, le sevrage, qu’en intégrant tous les changements à venir, et là ce n’est plus seulement la cure qui est l’objectif, mais tous les changements qui vont suivre.

Comme, par exemple, trier ses relations. Affronter des événements passés qui ne peuvent être gommés, mais restent fondateurs en termes d’expériences sur lesquelles on rebondit pour les métaboliser et cesser au maximum d’en souffrir. Ce qui est arrivé est arrivé, point. Mais comment envisager ces choses comme des outils pour s’améliorer, et amoindrir ainsi leurs retombées en préparant la personne à ne pas en subir d’autres du même tonneau, ça c’est encore plus fort.

Et là, c’est l’éthique des aidants qui entre en jeu. C’est super d’arriver à chasser l’obsession de l’alcool ou d’autre chose de sa vie, mais ce n’est pas tout. Sinon, c’est prendre le symptôme pour la cause, et bien des échecs de traitement se fondent sur la difficulté à changer « le reste », tout ce qui n’est pas la prise de substances.

 

     Je coup-de-gueulise ici, parce que, merde et re-merde. Ouais je sais, c’est mon credo, l’autonomie, j’ai eu laaaaargement l’occasion de m’apercevoir que soigner n’est pas se charger des problèmes des autres, mais les aider à trouver comment les résoudre eux-mêmes. Sinon, c’est de l’entretien de la dépendance, c’est utiliser la dépendance à son profit pour soigner son propre besoin que les autres aient besoin de nous. Un gros os à affronter pour le soignant-à-bouclette-sur-le-front-et-à-cape rouge.

Et ce n’est pas nécessaire d’être soignant pour travailler le problème… c’est à la portée de n’importe qui de ficeler quelqu’un de plus faible dans un réseau comptable malsain de devoirs – oh, que tu es méchant, moi qui ai tant fait pour toi… Méchant de ne pas être reconnaissant (où est la gratuité de l’aide ?), méchant de ne pas appliquer les solutions que je te donne (ouais mais ce ne sont que les miennes…), méchant de ne pas confondre l’amour avec le devoir supposé de gratifier quiconque veut t’aider (si c’est des pommes que je veux, et que tu ne cesses de me proposer des poires parce que c’est ce que toi tu aimes, c’est on ne peut plus normal que je n’en veuille pas, de tes poires et je ne t'en aime pas moins pour autant).

 

Pas facile d’aider, car pour bien aider, il est nécessaire de se retirer. Je veux dire, pas d’abandonner, mais d’écouter plus que de conseiller. Et aussi, de renvoyer la personne avec fermeté à la résolution de ses problèmes par elle-même; bref, de l'encourager à se détacher de nous, ce qui suppose un certain travail sur soi-même. Tout le monde a à se soigner lui-même, du coup. 

 

 

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