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6 septembre 2020 7 06 /09 /septembre /2020 18:51

 

 

Je tombe ce matin sur l’annonce de la mort de David Graeber, et du coup sur ses idées et écrits.

 

Devant son raisonnement sur les jobs de merde, je retiens quelques sujets de controverse, notamment le fait que les tâches de merde, il y en a partout à accomplir, même dans les catégories professionnelles qui si elles disparaissaient, feraient s’effondrer la structure sociale (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Bullshit_jobs#Controverse); ce qui, en soi, les désigneraient comme n'étant pas des jobs de merde. 

Le problème c’est qu’il y en a de plus de plus, de ces postes créés pour soigner les bobos dus à l‘envahissement récent de l’informatique ; et qu’outre les probables jobs de merde que la surutilisation de la technologie numérique a engendrés, les tâches de merde envahissent tous les secteurs.

 

Quelque chose déconne sérieusement au pays du travail… étant infirmière de premier métier, le virage pris avec l’utilisation des computers m’a consternée. Et très pratiquement, j’en ai souffert lors de mon opération il y  six mois : sous prétexte d’organisation logique des soins, obtenir les calmants auxquels j’avais droit est devenu une vraie gageure… ce n’est que parce que je suis diplômée et que je sais quoi prendre et quand, que l’on m’a pour finir donné toutes les 6 heures l’entier de mes réserves sur ma table de nuit : je gérais moi-même en fonction du problème qui survenait (parce que j’étais capable de repérer quel type de douleur survenait). C’est un métier !

 

Et pourquoi ne pouvait-on pas me donner de quoi, quand je le demandais ? Parce que les soignants étaient accaparés par les tâches informatiques diverses, d’une part… et que d'autre part la routine des tournées était construite de façon telle que s’interrompre dans son travail auprès d’une personne pour gérer les soins d’une autre (à travers l’informatique…) bousculait la gestion générale.

 

Du coup, l’axe de travail se déplace, de « être au service des patients », à « satisfaire au remplissage de données ». Mais si on ne fait plus ce qu’on devrait des données, alors… à quoi ça sert ?

 

La prise en charge devient bancale, et l’instrument choisi pour l’accomplir défausse complètement sa nature-même.

 

Et je gage que c’est la même chose qui se passe, quel que soit le métier.

 

Quant à l’asservissement délibéré de la part des patrons, je vois ça différemment. C’est un glissement qui n’avait pas été prévu, mais qui peut-être arrange à présent tout le monde : les puissants…et ceux qui subissent la situation en bout de chaîne, quelque part assez contents de pouvoir accuser les détenteurs de l’autorité et du pouvoir, quelles qu’en soient les manifestations. C’est chic, les sacs de sable, pour se défouler.

 

Ce que je retiens de ma lecture de l’article sur les jobs de merde, c’est cette petite liste énumérant les divers postes – je fais raccord avec ce que je connais : le monde des soins, que j’ai vu évoluer et perdre sa route :

 

  • Les « larbins » ou « faire-valoir », servant à mettre en valeur les supérieurs hiérarchiques ou les clients

Il y en a toujours eu, et je vois ça plutôt comme faisant partie d’une attitude commerciale concernant les clients, et le glissement de l’éthique professionnelle vers un truc un peu douteux : avoir l’air d’adhérer, d’écouter, mais dans le but de conserver le client – bien moins que pour rester politiquement correct, ou du moins en avoir l’air. D’ailleurs en politique, ça s’appelle de la démagogie… et ça vise à garder le pouvoir. Alors entre les deux moteurs principaux de cette attitude, l’argent et le pouvoir, on n’est pas sortis de l’auberge !!! Même dans les secteurs supposés être sans intérêt lucratif, on commence à chercher à tirer des bénéfices, faut pas croire que l’altruisme est si désintéressé que ça : le fric qui rentre, c’est une marge de sécurité…

Et puis se surveiller constamment pour rester inattaquable au taf, dire les choses avec un certain vocabulaire précautionneux, ou simplement décider de se la coincer pour garder sa job, vu que la majorité d’entre nous a des factures à payer.

  • Les « porte-flingue » ou « sbires », recrutés car les concurrents emploient déjà quelqu'un à ce poste, et dont le travail a une dimension agressive

Là, c’est une histoire de concurrence, exacerbée par les réseaux sociaux et la triste réalité : la technologie laisse sur le carreau quiconque pense être assez malin pour se passer d’un site et d’un Community Manager quand il faut vendre son produit ou son service.

  • Les « rafistoleurs » ou « sparadraps », employés pour résoudre des problèmes qui auraient pu être évités

Ce pan-là, il se développe à proportion de l’invasion technologique qui mange littéralement le temps de travail ; devoir employer des chargés de communication, pour encaisser les mécontentements, user de la langue de bois pour apaiser les grognons… et bien c’est devenu un taf à part entière. Dévoyage d’une partie de fonction, encore une fois.

  • Les « cocheurs de cases », recrutés pour permettre à une organisation de prétendre qu'elle traite un problème qu'elle n'a aucune intention de résoudre

Se superpose au rôle précédent…

  • Les « petits chefs » ou « contremaîtres », surveillant des personnes travaillant déjà de façon autonome

Mais ça crée de l’emploi, en effet, et ça donne l’illusion du double contrôle, de la sécurité, et ainsi de suite.

 

 

A mon idée, ce n’est donc pas un poste, mais quelques points précis des cahiers des charges de tout le monde : le système est comme infecté par un virus social, qui fait tendre les organisations à désigner et rémunérer plein de gens pour éteindre les feux de brousse, qui repartent tout le temps. Créés par les outils numériques… et comme ça change tout le temps, ces outils, à coups de mise à jour tous les 3 mois, la dépendance s’installe.

 

Nous ne sommes rien de plus que des toxicomanes anxieux, désormais.

 

L’informatique, c’est un jouet dévoyé de sa fonction première : être au service de l’humain. Pour moi, ça devrait rester le truc fun qui me permet de concocter un gant musical pour mon petit-neveu… et au maximum, quelque chose qui facilite la vie – sans la compliquer. On est loin du compte : l’effort monstrueux fait pour maîtriser la chose fait paraître dérisoires les comptes mis en place pour la maintenir… Toutes les organisations peuvent en témoigner : la somme de travail réel accompli est inférieure au temps passé à le documenter, le tracer, et chercher le coupable quand ça merde.

 

Où est le progrès, franchement ?

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