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5 juillet 2019 5 05 /07 /juillet /2019 20:01
« Je ne perds jamais – soit je gagne, soit j’apprends »
C’est Mandela qui disait ça.
Hier, j’ai encore appris.
Il y a 4 mois, un pékin me contacte par mail. Sa demande semble dans mes cordes : l’aider, sur la base de ses expériences, à pondre une centaine d’exemples de prise en charge de patients, selon des normes relativement précises – il veut faire une VAE, Validation des Acquis et de l’Expérience, pour obtenir son CFC d’ASSC (Assistant en Soins et Santé Communautaire). Niveau de français, conversation courante, OK, mais pour écrire, et écrire avec clarté, il a besoin d’un écrivain public. Son discours est déjà assez confus comme ça…
On se rencontre deux fois, puis on passe en mode « Clem écrit, le client paie un forfait par mois pour un certain nombre d’heures ». Voilà qui m’allait très bien : je le trouvais si particulier, le gars, que ça me convenait parfaitement de travailler à distance. 6 mois pour faire le job, donc mission soluble dans le temps.
Je me base sur des descriptions de situation sommaires, pour produire en bon français des synthèses ciblées et précises.
Je lui transmets 3 ou 4 fois mon travail, en fin de mois, et à chaque fois lui demande de recharger le compte, selon entente. Jamais un commentaire sur mes envois.
On arrive comme ça à fin juin.
Il demande à me voir – un mail plutôt sec…
Je sens mon feu bleu d’alerte interne s’enclencher… Je veux dire par là… que j’avais été frappée dès le départ par son langage corporel : sourcils froncés en permanence, regard difficile à rencontrer, tête projetée en arrière ; pas un sourire (pour un soignant, ça fait bizarre) ou alors un rire sardonique, désenchanté, qui ne se déclenchait qu’en évoquant des aspects qui semblent pénibles. Par ailleurs, je ne sais toujours pas comment il s’appelle – parfois il signe Pablo, parfois Nando… et son adresse e-mail c’est « moi-moi », suivi d’un nombre à deux chiffres. Un peu parano, peut-être ? Egocentré en tous cas.
Je vais donc à ce rendez-vous avec un malaise difficile à déchiffrer, sentant la nécessité de me tenir sur mes gardes. D'ailleurs j'ai choisi un terrain neutre, le café de mon quartier - pas envie de le voir sur mon territoire, où je ne laisse entrer que ceux en qui j'ai confiance.
Premier détail qui ne contribue pas à me détendre : il demande à aller dehors, pour pouvoir vapoter à l’aise. Pas de problème… sauf qu’il décarre illico avec ses petites affaires dans les mains, et me laisse seule avec tout mon matos : mon sac, mon PC ouvert et souris installée, et mon verre de thé froid – bref, aucune aide pour le transfert.
Déconnecté, le mec, aucun sens social… Je fais donc le déménagement en deux fois, tranquillement.
Deuxième cote d’alerte : il est venu avec mon travail imprimé, divisé en trois tas alignés au cordeau, maintenu avec des petites pincettes sophistiquées – apparemment, il a du temps à consacrer à ce genre de truc…
S’ensuit un quart d’heure d'obscures circonlocutions, du genre « je ne peux rien faire avec ça », et autres tirades, type bouteille à l’encre - et au terme desquelles j’arrive à lui arracher, comme de force, la phrase qui aurait dû sortir tout de suite, et clairement : il a besoin que chaque exemple prenne une page environ, au contraire de ce que je lui ai fait parvenir jusque-là - en mode synthèse avec explications détaillées lorsque nécessaires. Voilà qui aurait été précieux à savoir dès mon premier envoi !
Quart d’heure suivant : il me demande si je suis vraiment infirmière, puis pose une série de questions tout aussi étranges… je me tiens sur mes gardes, réponds factuellement pendant quelques minutes, puis finis par lui dire que je vois mal où il veut en venir. Il ne clarifie rien…
Je dévie donc en corner sur le quart d’heure suivant : j’attire son attention sur le fait que dans chaque description doit figurer un numéro de référence se rapportant à des certificats de travail, numéro dûment répertorié dans une liste qu’il doit produire à part. Ça prend un quart d’heure parce qu’il ne comprend pas de quoi je parle… Réponse sèche pour finir : bullshit, il s’est renseigné, pas besoin.
Ah voilà… bien bien… si tu le dis mon gars… mais bien sûr.
Déjà 45’ de pataugeage magistral. Je déchiffre mieux mon malaise: je pense être en présence de quelqu'un qui a des comportements de pervers narcissique.  
Donc j’attends la suite, en me calant sur ses silences, les moments où son regard se perd sur la ligne bleue des Vosges - en l'occurrence, celle de la Haute-Savoie toute proche, de l’autre côté du lac. Il ne comprend pas, souvent, ce que je lui explique – je dois répéter 3 fois différemment, en lui demandant ce qu’il ne capte pas. Décidément, sur la malcompréhension mutuelle, on est raccord… 
Au cours du quart d’heure suivant, en triturant et annotant un document qui a dû lui prendre des plombes à concocter, il me fait part de son projet de trouver des ASSC pour lui communiquer certains items qu’il imagine tout prêts, à 40 CHF pièce. Et me demande de solliciter mon propre réseau, car ceux qu’il a contacté l’ont envoyé baigner – sans blague ? Ma réponse, qui le surprend beaucoup, mentionne qu’aucune de mes relations ne demandera de fric pour livrer même une trame. « Expliquez-moi pourquoi elles feraient ça gratuitement ? », dit d'un air docte et hautain.
Stupéfaction chez moi : la solidarité du réseau, surtout chez les soignants, connais pas ? Et puis, ces nouvelles certifiées, drillées à l'entraide pendant toute leur formation, et qui pourraient livrer des exercices tous prêts (à son idée à lui) vont passer du statut d’apprenties (payées à coup de lance-pierres), à celui de salariées plein pot et qui n’ont plus à pondre de travaux pénibles, alors ses 40 balles, elles vont juste en rigoler. Surtout s’il faut se faire chier à récrire selon ses desiderata des études de situations formatées, alors que c’était leur épine dans le pied pendant 3 ans : même pour 40 thunes, oublie ! 
Tout ça avec sur son visage des airs seigneuriaux de générosité condescendante. Je concentre donc mes forces sur la distanciation, pour me protéger de ce que ce relou suscite en moi : une bonne envie de le planter là et de le laisser se démerder avec ce qui l’infecte, et pourrit la relation. Autre radar bien rodé chez moi: la fuite, quand je renifle le parfum d'un pervers narcissique.
Parenthèse : le type, je le sais, il veut à terme reprendre la fin de ses études de compta - obtenir son CFC d’ASSC aura juste pour conséquence d’être mieux payé, donc d’avoir plus de temps libre pour préparer sa dernière session d’examens – et là, c’est pas gagné pour valider son parcours de soignant, avec sa vision étriquée de la solidarité… il lui manque sérieusement de travailler la notion de réseau… l’humain, en somme… je pense que pour sa VAE, il tirerait grand profit d’un stage ciblé sur la collaboration avec les intervenants de réseau, au minimum. Et le réseau tout court, les réservoirs de « Best Pactices ». Fin de parenthèse.
Entretemps, je glisse avec précaution que je ne comprends pas pourquoi il a attendu la moitié du temps prévu pour la mission, pour me dire que le résultat, « il ne peut rien en faire » - qu’il le fasse de cette manière, et en ces termes dévalorisants, je me le garde pour moi.
Je mentionne simplement que je me sens responsable pour moitié : voyant qu’il ne réagissait pas, pressentant qu’en fait il ne lisait pas ce que je lui envoyais, j’aurais dû insister pour avoir un feedback.
Là, il admet qu’il n’a quasiment rien lu et que sa moitié de responsabilité, il s’y est dérobé – mais avec les excuses habituelles : beaucoup à faire… pas sa faute – blablabla - et prétendant que je ne lui ai pas envoyé systématiquement le travail en fin de mois. Je vois de quoi il parle : une fois je me suis abstenue, je n’en voyais pas la nécessité puisque je n’avais pas de feedback !… Je me contente de froncer les sourcils, avec une mimique « Tiens c’est bizarre », assortie d’un « Ah bon ? ». L'astuce apprise pour encaisser les remarques du genre PN. Pas de réaction,

Là je sens que le pouvoir a changé de mains, je reprends le contrôle, on a assez pétouillé comme ça: je récapitule ses demandes arrachées au forceps et les 20 dernières minutes, on les passe à poser sur l’agenda les échéances :

- D’abord, lui envoyer le jour-même un prototype d’exemple, dilué comme il le demande
- Il m’envoie un feedback au plus vite sur ce prototype, pour que je sache si je continue ainsi avec le reste du taf
- Je lui ferai le lendemain un feedback des contacts que je peux prendre avec les filles que j’ai suivies en répétitoires – je les vois le jour suivant à leur séance de remise de CFC (l’idée est de leur demander d’échanger, simplement, sur des exemples de situation qui peuvent se rapprocher de ses propres vécus)
- Je lui rends le truc complet dans 6 semaines.
Sans dételer, j'enchaîne, profitant du fait qu’il ait admis sa part de responsabilité pour lui faire miroiter une image win-win de la suite: pour le remercier (la flatterie, les PN, ça aime!) de m’avoir donné l’occasion de repenser ma stratégie-clientèle, s’il y a des corrections à faire au-delà de six semaines, ce sera cadeau. Le geste commercial que je m’apprêtais à faire d’une manière ou d’une autre ! Et s’il me pompe trop l’air au sujet des corrections (ça m’étonnerait grandement qu’il y en ait…), je trouverai comment me dérober à mon tour.
Je lui offre son café… on se serre la main et on prend congé après avoir échangé sur les vacances, en mode plus détendu. Le faciès se fend même d'un sourire ici et là.
Et pour être sûre qu’on s’est bien compris, je lui ponds dans la foulée un mail récapitulatif, histoire de le lui remettre sous les yeux si la relation redevient confuse. En réponse, il agrée… Pour ce contrat enfin délimité, sa signature numérique vaudra.
Le prototype que je lui envoie ensuite lui convient, il accepte, petit smile à la clé - ben voyons. Et paie illico son dû pour le mois à venir.
Pour conclure, je fais le rapprochement entre cette situation et deux autres « fails » vécus récemment : j’avais déjà repéré qu’à l’avenir, il me faut refuser les mandats du genre « c’est pour avant-hier, je dois rendre mon diplôme dans deux jours », confiés par des étudiants qui se révèlent de mauvaise foi parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer le travail, et invoquent donc un vice qui n’existe pas / tous ceux qui ne me donnent pas accès complet aux directives d'écriture d’un travail et n’utilisent pas les ressources humaines dont ils disposent (facile de se planter quand on refuse de voir son référent de travail de diplôme)…
J'y rajouterai les chieurs dans son genre, qui ne quittancent pas le travail accompli. Et pour me mettre en sécurité, je vais élaborer un contrat de collaboration qui me permettra de mettre fin à une mission si les termes n'en sont pas respectés.

Je vais y préciser tout ce que j’ai évoqué : consignes à me transmettre en entier, collaboration avec le référent s'il y en a un, quittance rapide sur le travail accompli et envoyé.

Je vais vous dire : s’il persiste dans l’idée de m’envoyer sa copine cet automne pour une démarche similaire (dans un autre domaine et pour un autre niveau de formation)… je vais sortir le contrat, et me réserver le droit de refuser la mission si elle n’accepte pas le contrat de collaboration. Et m'en tenir à ma ligne de conduite: tout manquement aura pour résultat de casser le contrat, avec avertissement préalable bien sûr, pour donner au client loisir de se rattraper.
Et ça vaudra pour les suivants.
Quand je dis que j'apprends...
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