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27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 12:22

     Frappée d’insomnie cette nuit, j’ai eu la chance de tomber sur un documentaire parlant de notre rapport au temps qui passe. Je l’ai attrapé en route, au moment où un trentenaire « so british » soutenait, menton et dents en avant, que son initiative de créer des trottoirs à voie rapide pour les piétons avait trouvé un écho favorable auprès de plusieurs municipalités anglaises et même européennes – sans qu’elle aboutisse pour autant, le problème étant de trouver comment payer les flics qui verbaliseraient les personnes trop lentes, qui téléphoneraient ou écouteraient de la musique, bref, feraient autre chose que de marcher vite…


Ben voyons.

 

 

Moi ce qui me frappe, c’est le cas de le dire, ce sont les manières de se déplacer des jeunes générations : il est devenu normal, on dirait, de se glisser comme une couleuvre dans le moindre interstice de foule, quitte à heurter de l’épaule le quidam. Par contre, s’excuser ensuite ne fait visiblement pas partie du lot des valeurs de politesse retenues par cette frange étrange de concitoyens, et la moindre protestation fait hausser le sourcil du hockeyeur dans l’âme : kwââ ? Normal: ils ne voient pas où est le problème. Quand bien même ils feraient la relation entre leur body-check et le col du fémur pété de la p'tit' vieille qu'ils ont ainsi envoyé au tapis, ils s'excuseraient eux-mêmes en invoquant, ben kwââ, qu'elle était sur leur passage... j'exagère à peine.


De même, le débit de mitraillette des adolescents – à l’heure actuelle, j’ai dans un de mes cours  un jeune homme que je dois faire répéter quatre ou cinq fois ses questions pour capter son propos… et je constate avec effarement le besoin des gosses qu’un film se déroule à 180 bpm pour qu'il les captive.

 

Ce rapport au temps toujours plus speedé, cadré, stressant, coupe les ailes à la créativité qui naît du temps qu’on baye aux corneilles. Raccorder entre elles des bribes de vie, tresser des souvenirs d’odeurs ou de toucher, voilà qui ouvre la porte à un monde intérieur et individuel où aucun tic-tac ne vient troubler l’atmosphère.

 

 

     Quand j’étais étudiante infirmière de première année, l’astuce qu’on se refilait pour gagner des bons points en enseignement clinique, c’était de donner au petit vieux dont on s’occupait un journal pour meubler sa matinée en attendant le repas de midi. La monitrice nous en félicitait chaudement, ah, que l'on était donc une bonne élève.

J’ai perpétué cette attitude jusqu’à ce que je me rende compte que la plupart du temps, les petits vieux en question ne rêvaient que d’une chose : s’enfoncer dans un fauteuil ou dans leurs oreillers pour faire une sieste bien méritée après l’exercice de la toilette. D’ailleurs la plupart disaient pour finir qu’ils avaient bien assez de souvenirs plein la tête pour tricoter plus d’une journée en imagination… Voulaient juste qu'on leur foute la paix, quoi!


    Ensuite, longtemps je me suis levée de bien trop bonne heure : les journées hospitalières commencent à sept heures,  quelle horreur. Donc, lever à cinq heures et demie, en général… Pour gagner une demi-heure de sommeil, je me suis donc procuré une voiture, qui mangeait mon salaire en assurances et parking. Terrible dilemme : dépenser son fric à des commodités pour pouvoir en gagner. Et pas des masses, en plus…

 

Dès que j’ai pu, j’ai baissé mon pourcentage à 80%. Je gagnais juste assez ma vie pour pouvoir profiter de ce jour de congé supplémentaire, mais sans excès : la voiture est passée à la trappe, du coup. Pas parce qu’elle devenait inutile, car j’aurais aimé en profiter pour user de ce jour de congé en allant voir des endroits un peu difficiles d’accès, qui éveillaient ma curiosité… ou alors, m’y endormir au chaud de mon sac de couchage après une soirée bien arrosée mais un peu loin de mes pénates, me réveillant le lendemain après avoir cuvé. Non, elle a disparu du paysage parce qu’il fallait choisir entre un appartement décent et un moyen de locomotion privé.

Bref, la quadrature du cercle pour profiter de la vie…

 

Je n’ai eu de cesse ensuite de trouver des postes qui me permettaient de concilier un maximum d’indépendance avec un minimum de travail ; qu'il soit mieux payé, ou me permette des accommodements temporels qui équilibraient mon rythme. Il n’était pas effréné, mais avide de qualité de temps privé, juste ça.

 

     A la fin du compte, voilà t’y pas que je me remets aux études, avec des semaines de 100 heures complètement épuisantes et schizoïdes, quatre ans durant. Là, pour le coup, vaccinée, Clémentine… M'enfin bon, pouvoir travailler moins parce que gagnant plus, c'était à ce prix-là.


Alors, depuis, je m’ingénie à compter mes heures de travail en fonction de ce qu’on me demande d’accomplir, sans zèle excessif, en prenant toute largesse et latitude comme telles, freinant avant d’atteindre la limite extérieure de ma marge, fournissant pourtant le zeste de plus qui donne l’impression que je suis vachement impliquée, alors que mon second cursus d’études m’a fourni un bagage qui me permet d’accomplir la moitié de mes tâches en la moitié du temps habituellement compté. Il y a 3 mois, je m'en suis vaguement ouverte à une collègue et connaissance de longue date "J'ai pas l'impression de travailler...", ce à quoi elle a répondu en me regardant par-dessus ses demi-lunes "Ca va venir, t'inquiète pas", faisant allusion aux nombreuses heures supps accumulées par la majorité. J'assume aujourd'hui l'entier de mon cahier des charges, et bof, j'attends toujours de me sentir débordée, franchement. Mais ça, je le mettrais sur le compte de mon besoin irrésistible de simplifier toutes mes tâches: il y a des pourquois du comment censés expliquer l'ampleur des besognes, qui ne me semblent que surgonflées de complications bizarres. Bien décortiquées, elles n'ont de raison d'être que de vouloir se sentir indispensable; ou de calmer un sentiment intérieur de ne pas mériter la place qu'on a - mais à laquelle on nous a pourtant jugées dignes d'être.


Bref, ces heures qu’il me reste à remplir sur le système de pointage folklorique de ma boîte, je l’utilise, justement, pour laisser fleurir ma créativité, et dans d’autres domaines bien souvent. Il y a plein de corneilles dans mon imaginaire, avec lesquelles discuter du sens de la vie. Et ma foi, puisque l’on ne comprendrait pas, quelque part, que j’accomplisse tout ça en aussi peu de temps, et puisque par ailleurs on me bouffe du temps en séances plénières auxquelles je ne participe pas au prorata de mon pourcentage, mais tout autant que celles qui travaillent le double… je reprends les heures supp’ que ça génère – et ça en génère, que je le veuille ou non. Des congés, qui n’en veut, n’en voilà. Si ça continue comme je pense que ça va continuer, je vais être en vacances dix, voire douze semaines par année. Payée à rien foutre, quoi…  J’ai intérêt à apprendre vite comment évoquer mes souvenirs, comme les petits vieux dont je m’occupais. Tiens, ça me donne même une idée: je vais créer et donner des cours à l'Ecole-Club Migros: comment passer le temps. Ca s'adresserait à ceux qui commencent la crise de la quarantaine (faut commencer à capitaliser tôt), et se voient précipités tout soudain dans le pressentiment du vide existentiel... C'est vrai quoi: puisque la question de la finalité de la vie ne reçoit aucune réponse satisfaisante - car si nombreux que soient les philosophes et les théologiens qui s'y sont risqués en cumulant parfois les casquettes, jusqu'ici rien de ce que j'ai lu ne m'a convaincue - c'est qu'il faut peut-être juste profiter à coin d'être là où on est. C'est marrant d'ailleurs: c'est à partir du moment où on a du temps en rab' qu'on commence à se demander quoi en foutre, et qu'on se met à faire des fioritures, en tâches ou en achats par exemple... Allez, un bon tsunami ou une jolie tornade, ce serait revigorant, carrément: faut voir la panique qui s'empare de la populace quand l'hiver ne fait que son boulot d'hiver en amenant la neige... tordant. Une attitude nécessaire à la survie de l'autre côté du globe, mais un truc qui serait stimulant sous nos latitudes. Ca me rappelle un film avec Michael Douglas, tiens, vazy voir, ça m'a pas fait dormir: http://fr.wikipedia.org/wiki/The_Game_%28film%29 . Un type qui nage dans l'opulence et l'ennui se retrouve à la rue et en danger de mort sur tous les plans: c'est un jeu qu'on lui offre, mais il ne le sait pas, jusqu'à ce que ça se termine.

 

Tu vois déjà tout ce que j'ai dans ma cervelle? Impossible de décrocher, une idée en appelle une autre, des souvenirs en chapelets de merguez. La putain de petite vieille pleine de sa vie que je vais être, dis donc... Je vais leur faire faire des économies de magazine, à l'EMS.

 

     De fil en aiguille, voilà à quoi ça me fait penser : une excellente pote à moi a un fils de bientôt 16 ans, qui s’emmerde comme un rat mort au gymnase. Tellement, qu’il a des résultats à chier et se met en échec à l’heure actuelle, bien qu’il soit ce qu’on appelle une personnalité HP (Haut Potentiel ; les surdoués d’hier, en fait). Inutile de l'envoyer aux cours publics de la section scientifique universitaire renommée dans mon coin, il en sait autant sur la robotique que le prof' qui y sévit... c'est le genre de môme qui se faisait accuser de tricherie aux tests de maths du collège, car il était incapable d'expliquer comment il avait trouvé la solution; évidemment, car il avait l'intuition ou la prescience de la bonne réponse...

Quand sa mère me raconte à quoi il passe son temps d’études, je me marre : il est foutu de réfléchir une heure et demie à la manière de ne pas apprendre ni faire ce qu’il doit, alors que probablement il mémoriserait tout ça et l’accomplirait en un quart d’heure… Ca me rappelle quelqu’un, tiens. On met sa créativité où on peut…

 

 

    Le temps. Angoisse, soit de ne pas en avoir assez, soit d’en avoir trop, de s’ennuyer… Angoisse de vouloir occuper les autres à tout prix… Régulièrement, dans mon canard habituel, il y a tout un feuillet consacré au monde du travail ; on y parle, entre autres, des employés improductifs, distraits, qui vont sur Internet, etc. L’article suivant traite des bienfaits du temps « mort », qui permet de recharger les batteries et de booster ses résultats. Bref. Tout et son contraire. Bah, tout comme les journaux féminins qui pondent des articles longs comme le bras sur la beauté des rondeurs, photos magnifiques de filles plantureuses à l’appui, mais ne sauraient paraître sans leurs sponsors qui vantent, sur la moitié du cahier, les mérites de toutes sortes de traitements amaigrissants. Cherchez l’erreur…

 

Bon. Vous je sais pas, mais moi… je retourne rien foutre. A plusse.

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