Quand le polyamour arrive sur la table, la première réaction des non-polyamoureux est souvent liée à l’idée du sexe libre et sans contrainte. J’en parle à mes trois copines de diplôme, qui ont à peu près 25 ans de moins que moi : « Ah ? Vous baisez tous ensemble quand vous avez une rencontre ? ». Mmmh, ça c’est du libertinage, poussinette. Et, en passant, ce n’est pas « sssale », comme dirait De Caunes en docteur Toub’ sur Radio Foun. Mais ce n'est pas ça, le polyamour. Il y a certes une idée de liberté, mais pondérée.
Etre libre ne signifie pas être heureux, mais tenter de le devenir et de le rester en y travaillant, avec des hauts et des bas, car s'extraire du modèle mono demande beaucoup d'efforts, en continu - quoiqu'au bout d'un moment, l'entraînement au lâcher-prise porte ses fruits!
Un de mes intérêts pour le polyamour réside en ceci: chercher l'équilibre du système sans imposer le sien propre. Ce qui signifie que chaque configuration est différente, établit ses propres règles, et que si quelqu'un commence à souffrir, on tente de rechercher pourquoi, on se soutient, sans briser.
On ne m'ôtera pas de l'idée que c'est une évolution majeure des rites de rencontre et d'échanges des richesses individuelles en général, au contraire du jugement étriqué qu'on peut porter sur la supposée "insoutenable légèreté de l'être" qui est attribuée au polyamoureux. Ce qui me fait dire que cette manière d'envisager ses amours fait partie d'un courant plus vaste, plus accueillant.
Car en stigmatisant le polyamour comme une manière déguisée de s’autoriser le libertinage, on fait fi de son aspect de pluralité de relations sentimentales. Les deux ne s'excluent pas forcément, mais c'est la proportion d'attente, de liberté, de vécu à l'égard des deux qui est différente selon chacun. Les polyamoureux sont poussés à le devenir pour des raisons différentes : l'hédonisme, l'éthique, la preuve par les actes que le polyamour est possible... une bisexualité, une trajectoire de vie, ni pire ni meilleure que celle d’un monoamoureux; et aussi, un nom pratique et flatteur qu’un homme en plein démon de midi pose sur sa retombée en adolescence… Le vide affectif parfois - faut pas se voiler la face : le polyamour pour assurer ses arrières affectivement, ne jamais être démuni, équilibrer une relation qui fait mal, etc... ça existe.
Pour moi, moins qu'une situation nette, c'est un moyen de grandir, en se posant les bonnes questions sur des choses que nous remettons en question. Chacun a sa propre constellation, en devenir ; catégoriser les relations, c'est risquer de se remettre dans des petites boîtes auxquelles le polyamoureux cherche précisément à échapper.
Méthode essai et erreur, c'est comme ça qu'on avance. Sinon, on n'essaie jamais rien, on ne tente rien, et qui ne tente rien n'a rien, on peut pas savoir avant d'avoir essayé, et je peux vous le chanter sur tous les tons et de toutes les manières, bon dieu si on pouvait se pardonner d'être imparfait et en train de chercher comment vivre au mieux de ses envies et de ses valeurs... ce serait déjà pas si mal.
Il me semble que plus ça va, plus je tombe sur des témoignages de gens polyamoureux affirmés qui avouent, clairement ou à demi-mot, que s'ils rencontraient une personne avec laquelle ils seraient totalement comblés, ils laisseraient choir les autres en ne gardant que l'amitié.
Coup dur, là. Polyamour par manque? Pour combler un ou des besoins? Dont on n'a pas même conscience du vide qu'il(s) crée(nt)? Comme par dépit, mais à chaque fois un espoir de cadrer mieux avec la morale, l'entourage, la société. Moments de lassitude peut-être, comme une envie de baisser les bras?
Ca me laisse pensive, ça ouvre aussi la dimension du temps; celui qu'on se laisse pour évoluer et aux autres... pour s'habituer au fait que chacun a son propre paysage, mais qu'il peut en plus évoluer, sembler régresser, vouloir ménager les uns et les autres.
De même, quand des gens cherchent un polyamour où tous les partenaires s'aimeraient d'amour égal, c'est une autre manière de vouloir éviter la réalité. Si cette configuration existe, elle est aussi intéressante et difficile à vivre que n'importe quel polyamour. Mais c'est un idéal... et le fruit du hasard. Aussi fortuit que d’aimer tous ses enfants aussi fort ; on ne peut que les aimer différemment, puisqu’on ne peut donner son attention que de manière différente, à des gosses qui sont différents … et leurs besoins itou.
Mono, poly... c'est pas un jeu d'opérations immobilières, si j'ose dire. Le plus gros morceau, parce qu'il doit sans cesse se régénérer, c'est la capacité d'ouverture à ce qui va, ou qui ! va croiser notre route. On est toujours capable de s'inventer des petites boîtes où caser des doses d'amour de réserve en cas de coup dur, si on craint cet aspect des choses. Je le dis: la vie c'est risqué. Des fois on se sent fort, des fois moins. Je ne peux m’empêcher de penser qu’une des raisons de fréquenter un cercle de polyamoureux, c’est de tenter de court-circuiter la possible souffrance d’entamer une belle relation avec un(e) non –polyamoureux(se), relation qui pourrait se casser la gueule quand le polyamour pointe son nez. Une manière de se mettre en sécurité ; et pourquoi pas. Mais ce serait dommage que ça devienne un ghetto sentimental : comme ça, ça vous a une aura de « Tournez ménage »… avec un Didier Bourdon à fonds de chopes qui bafouillerait avec une patate chaude dans la bouche « Après la réunion, est-ce que tu veux bien qu’on tombe amoureux ? ». Le polyamour est une chose que j'ai en commun avec des gens avec lesquels on ne peut mutuellement pas s'encadrer par ailleurs!
Ca me semble aussi bizarre de décider de se focaliser sur un groupe qui a un mode de vie amoureux particulier, qui peut changer tout le long de la vie, en plus... que de se focaliser sur une personne. Faudrait voir à ne pas devenir monomaniaque du polyamour !
Mon idée, finalement, c'est qu'on fait de notre mieux quand on est d'accord d'accueillir aussi les zones d'ombre que l'essai de vivre en polyamoureux comporte... la vie, c'est ce qui arrive pendant qu'on fait des tas de projets; au quotidien, elle nous ramène à quelques nids de poule assez cahoteux à passer, et là, je crois plus au courage qu'aux envolées lyriques... même les miennes...
Tiens, juste pour rajouter un nid de poule, voilà une situation particulière :
Le gars initiateur d’un site polyamoureux a freiné le jeu car sa douce ne le supportait pas; mais en gardant tout juste son rôle de modérateur.
Après un enfant, une maison, et une dernière année de relation platonique, finalement c'est elle qui tombe amoureuse de manière poly, et doit le réconforter car lui est dans une solitude terrible... Arroseur arrosé, comme il le dit lui-même. Cherchez l'erreur?
Plus près de moi, le cher G.O., fou d’amour pour une chérie qui n’est pas poly elle-même, et cette belle décision pleine de respect : vivre en mono quelques mois, puis aviser. Le temps d’y réfléchir, à la fois à l’idée, et à leur relation. Qu’est-ce que j’ai aimé lire ça, quand il nous en a parlé ! Comme quoi, c’est extrêmement important de ne pas se rigidifier dans ce modèle-là non plus.
Au final, tenter le polyamour, c’est embarquer pour de beaux voyages, et parfois ardus ! en Amourzonie et Sexoland. Sortez vos machettes, y’ a des rideaux de lianes et parfois il faut juste faire un sacré détour…